CD. Compte rendu critique. Schubert : Sonates D 845 & 958. Louis Schwizgebel, piano (1 cd Aparté). L’Allegro de la D 958 (1828) fait entendre sous la digitalité parfois dure, continument percussive, mais précise, de l’interprète, un déroulé agile et tendre, d’une belle souplesse d’intonation qui sous l’allant irrépressible du mouvement, fait surgir cette nostalgie de souvenirs vivaces affleurant intacts à la surface du piano. Pourtant comme nous le précision plus loin, force est de constater que le jeune musicien a peut-être décidé trop tôt d’explorer la langueur schubertienne, articulant en pleine lumière ce qui exige et se cultive dans l’ombre… Le pianiste genevois né en 1987 redouble de délicatesse à la réitération du thème à 4’39, en un touché qui sait murmurer avec une profondeur juste. Pourtant on regrette souvent que cette approche manque son objet à trop vouloir articuler, expliquer, sans véritablement basculer dans le mystère.
Défaut de jeunesse, la clarté à l’action – magnifiée par une prise de son qui détaille tout, au point de masquer les effets de contrechamps, de lointains, de brumes ou d’échos-, reste trop explicite quand c’est le voile de la sehnsucht qui s’épaissit irrévocablement selon la pensée schubertienne. Même l’énoncé de l’Adagio est trop manifeste : pas assez de pudeur rentrée, de finesse allusive dans ce clavier tranchant et vif : la partition composée à l’extrême fin de la vie du compositeur, deux mois avant sa mort (à 31 ans), s’affirme irrémédiablement dans cet abandon, repli et renoncement où le gouffre noir est bel et bien présent. La couleur de la fin, cette atténuation qui tend à l’évanescence est tout à fait absente de la lecture de Louis Schwizgebel qui même se montre d’une âpreté tendue ici : résistance à l’inéluctable offrant a contrario de bien des lectures, une expression qui certes ayant du relief, ne manque pas de caractère, comme d’intelligence, mais finit par nous
agacer à force d’être manifeste. L’écoulement plus libre du Menueto, – fugace, impose une vision claire. Et l’Allegro final n’est que bavardage, avec une belle caractérisation des séquences mais sans trouble aucun ; notre verdict tombe après écoute de ce première tableau : c’est un exercice technique admirable de fluidité mais qui n’exprime pas grand
chose : le jeune pianiste grandement estimé dans ses Concertos pour piano de Saint-Saëns, semble demeuré à l’extérieur du mystère de Schubert.
Qu’en est-il de la seconde Sonate ? La D 845 (1826) en la mineur nage en eaux plus inquiétantes encore… avec le premier motif lové au cœur d’une intimité qui se dérobe à chaque énoncé. D’une coloration liquide, plus suggestive quoique grave et profonde, le jeu du pianiste atteint davantage de vérité, de détachement énigmatique à chaque exposition / réexpédition du thème. Moderato, le mouvement initial impose d’emblée avec éclat, un jeu murmuré qui sait enfin exprimer les gouffres schubertiens. A l’énoncé central du lied (Totengräben Heimwehe / La Nostalgie du fossoyeur), l’atmosphère funèbre s’installe inéluctablement… pourtant encore une dureté et une violence d’expression, se rangent et s’affirment outrageusement, franchement dans l’énergie de la résistance, de la souffrance, de l’inacceptation. L’Andante résonne comme un monologue faussement enchanté et insouciant… et le Rondo, pièce capitale car elle libère de toutes les tensions accumulées auparavant, affecte un brio systématique qui il est vrai témoigne du superbe nerf technicien de l’interprète, mais refuse toute intériorité trouble, toute médiation ambivalente.
Ce poli pétaradant confine en définitive au contre sens. Non, Louis Schwizgebel, étranger à tout mystère, et toute ombre mélancolique, n’est pas Schubertien. Tout au moins dans ces 2 Sonates. Notre déception est grande. Nous attendions trop certainement d’un pianiste pourtant prometteur. N’est pas Benjamin Grosvenor qui veut ! Son touché reste quant à lui, hypnotique. Concernant Louis Schwizgebel, on se reportera à son excellent disque Saint-Saëns, enregistré en 2014 et 2015 : un must absolu.
CD. Compte rendu critique. Schubert : Sonates D 845 & 958. Louis Schwizgebel, piano (1 cd Aparté) — enregistré en mars 2016 à Paris.