CD, critique. Chic à a française : Trio Atanassov. Debussy, Hersant, Ravel (1 cd Paraty – enregistré en avril 2018). Le Chic à la française se répand dans les 3 pièces ici choisies, chacune très forte en sensations comme en caractères. Réunir les 3 relève déjà d’un défi. De Debussy, le Trio en sol est une pièce de jeunesse vite oubliée par l’auteur et qui plus est, est restée inachevée (dans le 4è mouvement). Pourtant elle témoigne de sa première manière, encore « romantique », rappelant Saint-Saëns, Franck et Massenet ; la partition dut animer les soirées de musique de chambre organisées par la protectrice de Tchaikovski, la baronne Nadejda von Mack qui employa le jeune pianiste Debussy en 1880, dans ses déplacements en Italie (Fiesole).
Les 3 musiciens du Trio Atanassov aborde chaque séquence avec éloquence et tension : nonchalance heureuse et tension mesurée (Andantino) ; vivacité nerveuse et engagée comme celle d’une conversation où chacun chante et affirme sa partie (Scherzo) ; puissance suave et nostalgique de l’Andante ; enfin, insouciance et légèreté vive du Finale.
Le cas de la pièce de Philippe Hersant, longue réflexion de 20 mn, se révèle fascinant : c’est la partition qui révèle l’étendue de la palette expressive des interprètes. Fasciné par le Baroque français du XVIIè et surtout ici, Marin Marais, Philippe Hersant choisit comme un emblème fécond, la sonnerie de l’église Sainte-Geneviève du Mont que Marais a traité dans « la gamme et autres morceaux… » de 1723. Hersant en déduit une suite de variations en trio qui séduit par la grande économie formelle, laquelle n’empêche pas une diversité d’épisodes. En une succession de « souvenirs » et de stratifications qui offre un étagement sonore de la mémoire sollicitée, la pièce emprunte maints chemins et parcours que chaque instrument traverse différemment.
C’est une partition souterraine et liquide, parsemée d’éclairs post romantiques et fantastiques (au piano) ; où passent aussi citations et formules baroques (aux cordes)… frémissements, instabilité, intranquillité voire inquiétude ; au milieu de la pièce, se précise l’effet de cloche et de carillon (la sonnerie qui apparaît dans le titre même de l’œuvre), qui affirmée progressivement, crée la tension, en un balancement tragique, de plus en plus panique ; séquence crépitante, suractivité qui laisse s’accentuer des micro épisodes tendus, interrogatifs, des éclairs et crépitements proches de cauchemar. Dans ce chaos sobre, le piano panique cherche un équilibre toujours reporté ; il tente d’apaiser le feu des cordes qui tranchent, et citent des ornements baroques (violon), en une superposition captivante de chants simultanés (parfois en téléscopages discordants et volontaires) dont la voix, en conclusion, se perd et s’effiloche comme un carillon devenu songe qui n’a pas peut-être jamais existé. L’acuité expressive, comme le glissement poétique sont dynamisés par le souci du détail et des équilibres sonores. Dans un labyrinthe musical aux changements permanents, le Trio Atanassov ne perd jamais le fil.
Le Trio de Ravel confirme la complicité toute en onctuosité expressive des trois instrumentistes. D’abord, ils expriment la délicatesse affleurante et ses climats d’une pudeur infinie du premier mouvement (Modéré), vraie invitation au songe intime, secret. Pantoum se cabre, se rebiffe, plein de panache et de fier hispanisme. Les trois complices redoublent d’accents tranchés et vivaces. Plus recueilli et sombre sans gravité asphyxiante, la Passacaille élargit la texture sonore encore en une opulence expressive que les trois instrumentistes soulignent avec intensité. Le Finale exacerbe encore davantage les contrastes jusqu’à la saturation, rappelant combien le Trio de Ravel est une œuvre qui a été conçue dans des heures sombres d’août 1914 : la conclusion comme éperdue, assénée, enivrée appelant à la mobilisation totale. Riche en défis, le programme confirme la haute musicalité du Trio Atanassov.
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CD, critique. CHIC A LA FRANCAISE : Trio Atanassov. Debussy, Hersant, Ravel (1 cd Paraty – enregistré en avril 2018). Perceval Gilles, violon / Sarah Sultan, violoncelle / Pierre-Kaloyann Atanassov, piano.