Cd, critique. FAURÉ : les « Treize Barcarolles » (Billy Eidi- 1cd Timpani). Comme une constante mais épisodique offrande au rythme ternaire de la Barcarolle, les Treize opus ici réunis n’étaient pas destinés à composer un tout unitaire. Ils témoignent cependant de l’évolution et des questionnement de l’auteur, toujours secret et très pudique, à l’endroit du genre, de la forme, de l’intention et du développement. Fauré sillonne le filon compositionnel de références évidentes à Chopin, mais il sait comme un Monet, sublimer le format en intensifiant le mordoré des couleurs, l’éclatement même du schéma harmonique dont il réinvente un cheminement expressif et poétique. L’idée de les jouer une à une, restitue ainsi un itinéraire esthétique qui révèle une richesse en contrastes, créant des scintillements et des silences comme le jeu perpétuellement changeant de la surface aquatique. De l’onde jaillissante et d’un mélodisme juvénile, presque attendu pour les premières, nous voici déjà en eau profonde et inquiète pour les dernières. Ne prenons que les ultimes comme reflets révélateurs de ce pianisme aussi stylé que poétique.
La 10 ème Barcarolle en la mineur sonne comme un questionnement grave, d’une instabilité inquiète intranquille, au passionnant balancement qui contient comme un secret sombre et amoureusement murmuré. L’éloquence et la liquidité souple du pianiste ensorcèle littéralement, car il sait et dire la douceur et exprimer la force voire la violence rentrée d’un Fauré volontaire et réformateur.
La 11ème en sol mineur fait éclater et même scintiller une même recherche sonore tout en semblant gravir des échelons verticaux de plus en plus élevés, quête mystique et redéfinition radicale du développement formel. FAURÉ semble ouvrir de nouveaux horizons à la limite du dicible et de l’imaginable, le tout exprimé et réitéré à la façon d’une houle de plus en plus mystérieuse et impénétrable. Tout cela en échelles harmoniques, liberté du plan formel, comme éléments clés d’une hypersensiblité déjà debussyste, elle aussi d’une féconde intranquillité.
Survient alors, plus calme et d’un souffle plus construit, la 12ème Barcarolle d’une lumineuse motricité, non moins habitée par une urgence intérieure presque impérieuse. L’agilité flexible du pianiste rétablit et l’esprit de conquête et la formidable cohérence sonore comme déroulée sans noeud ni rupture d’aucune sorte.
Entre hypnose et rêverie funambule la 13ème enrichit encore le spectre harmonique tout en se jouant d’un balancement toujours aussi saisissant par ses ondulations incessantes. Sans pesanteur, esprit insaisissable, l’écriture de Fauré trouve une élocution entre le fil aérien de Liszt et la liquidité profonde de Debussy. Avec une affection intime donc pour un crépitement perlé qui ouvrage dans une finesse orfèvrée, des ornements liquides parfaitement énoncés. Tout le mérite en revient au jeu nuancé, poétique, miroitant de Billy Eidi, maître ès chatoiements.
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Cd, critique. FAURÉ : les « Treize Barcarolles » (Billy Eidi- 1cd Timpani 1C1247). Enregistrement réalisé en juin 2017