mercredi 2 avril 2025

CD critique. JS BACH : Johannes-Passion BWV 245 – Collegium vocale Gent / Philippe Herreweghe (mars 2018, Anvers / 2 cd Phi)

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JOHANNES PASSION philippe herrewegheCD critique. JS BACH : Johannes-Passion BWV 245 – Collegium vocale Gent / Philippe Herreweghe (mars 2018, Anvers / 2 cd Phi)  –  D’une façon générale, s’il s’agit évidemment de la Passion la plus puissante et originale de Bach, soucieux de trouver un équilibre ténu entre force spirituelle et expressivité dramatique, le choix de certains solistes fragilise la présente lecture. CD1 / Prima parte. Dans la plage 13 / l’air panique de Pierre, « le serviteur » qui a renié Jésus,  (« Ach mein Sinn » / ah mon âme…), le ténor Robin Tritschler chante un rien droit et court, manquant de ce legato qui doit aussi porter le texte. L’air marque un point fort dans le dramatisme de la Passion : les remords du coupable étreignant cette âme faible et lâche. Le soliste passe à côté de l’enjeu.

CD 2, Parte seconda. De même l’air pour basse, autre appel en panique vers le Golgotha, lieu du supplice accompagné par le choeur dévoile l’imprécision du soliste qui paraît bien peu impliqué par le sens du texte qu’il chante alors (24).
Même réserve pour la voix engorgée, instable, parfois maniérée du récitant Evangéliste : là aussi la déception est grande.

Mais surgit comme un éclair sidérant (plage 21), l’air d’un désespoire absolu et d’une espérance immédiate dans le même temps : « Zerfließe, mein herze, in fluten der zähren » par la soprano Dorothée Mields : directe, scintillante, diamant lacrymal irrésistible, perle comme on en compte rarement qui est la contrepartie sublimée de l’air axial lui aussi et qui précède « Es ist vollbracht » (pour alto ici le contre ténor alto Damien Guillon, droit, désincarné, un rien en retrait lui aussi : plage 16 « Tout est achevé », air axial qui marque le pivot central du drame)

Tout au long du périple spirituel, le chœur demeure impeccable, précis, métronomique, tendre ou hargneux plein de haine pointée (16b, 16d), mais aussi de sérénité méditative pour chaque choral, entonné avec simplicité et dignité.
Notons surtout la réussite du dernier choeur, vraie jubilation pour la séquence finale {39 : « Ruth wohl, ihr heiliegn Gebeine » / reposez bien, vous membres sacrés…}, superbe élan de tendresse rassérénante et qui compose comme un cercle de réconfort pour l’âme et le corps de celui qui s’est sacrifié : tout est pardonné « Ouvre le ciel pour moi et referme l’enfer ». Sobriété, intimité, épure : le geste et la conception sont à mille lieux des versions plus dramatiques, ici allégée et déjà céleste. La justesse du Collegium Vocale Gent qui semble transcendé lui-même par le sens résurrectionnel du texte ultime, est saisissante. Et le grand livre de la Résurrection (surtout de l’indéfectible espérance) se referme et rassure ainsi, dans la quiétude et la lumière ; dans l’intimisme presque désincarné de la part des chanteurs de l’impeccable chœur gantois, à la fois nuancé et précis. Tout relève de la paix et du renoncement enfin exaucés. Avec Dorothée Mields, la réalisation relève de l’excellence. C’est donc malgré nos réserves (concernant certains solistes) un CLIC de CLASSIQUENEWS du printemps 2020.

 

 

 

 

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CLIC_macaron_2014CD critique. JS BACH : Johannes-Passion BWV 245 – Collegium vocale Gent / Philippe Herreweghe (mars 2018, Anvers / 2 cd Phi)  –  https://outhere-music.com/fr/albums/johannes-passion-bwv-245-lph031

 

 

 

 

 

Approfondir : notre vision de la partition de la Johannes Passion de JS BACH

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Moins longue d’une bonne heure la Saint-Jean comparée à la Saint-Matthieu (1736), plus connue et jouée (et découverte dès 1849 par Mendelssohn), saisit par sa coupe fulgurante. Mais Bach n’a rien épargné au chercheur qui doit reconnaître que ce premier massif sacré destiné à Leipzig, n’a jamais été fixé dans sa forme ; dès après sa première « représentation », le 7 avril 1724 à Saint-Thomas (pour le service des Vêpres du Vendredi Saint), JS Bach ne cesse de réviser, modifier, couper, ajouter … pour chaque nouvelle réalisation.
Qu’est devenue par exemple la « Sinfonia » pour orchestre qui remplaçait en 1732, la scène du tremblement de terre juste après l’expiration de Jésus sur la Croix… ?
Plus resserrée, plus dense et dramatique, la Saint-Jean avait déjà frappé l’esprit de Schumann ; même la 4è version documentée en 1749 n’a pas laissé de partition complète. Sans la signature ou la main autographe de JS Bach sur le matériel, rien ne prouve qu’il s’agisse de la forme définitive de sa Passion.
Jusqu’à la dernière exécution (1749 donc voire 1750, l’année de sa mort), la Saint-Jean pose probème au personnel municipal de Leipzig, peu enclin à goûter les outrances du Cantor de Saint-Thomas, qu’ils ne cessent de tancer voire d’humilier afin que le compositeur leur soumette avant toute réalisation, texte et style de chaque nouvelle partition.
La durée de la Saint-Jean indique l’esthétique et la « première manière » de Bach, fraîchement arrivé de Köthen pour prendre à l’été 1723, ses fonctions de director Musices de Leipzig, responsable de la musique de Saint-Thomas et Saint-Nicolas. Il s’agit pour lui de respecter le voeu de ses supérieurs : musique courte, non opératique, devant susciter la dévotion. Ici pas de cuivres dont l’éclat pour le temps de la Passion était jugé indécent. Malgré la puissance et l’originalité de sa musique, Bach est considéré comme une auteur maladroit, « pompeux », « confus », « contre-nature » (!!!).

Le livret retenu est celui d’un anonyme qui reprend plusieurs textes de Barthold Heinrich Brockes (« Jésus martyrisé et mourant », 1712), riches en images très fortes. Pour le tableau de Jésus sur la Croix au Golgotha, pour sa résurrection, Bach emprunte aussi au texte de Saint-Matthieu : quand Jésus expire son dernier souffle, l’effet est hautement théâtral, preuve que dès 1724, le compositeur dépasse volontairement l’appel à l’intimisme promu par sa hiérarchie. La clé de voûte de chaque édifice sacré ainsi livré étant la série de chorals connus par l’assemblée des fidèles et qu’ils entonnent ensemble pour chacun.

Ce qui est certain c’est que pour la dernière exécution de la Saint-Jean, de son vivant, 1749 voire 1750, Bach emploie un continuo étoffé (2 clavecins, un orgue,un contrebasson / « bassono grosso ») insistant sur le sparties graves et résonantes. Qui plus est les parties chantées de Pierre et Pilate, auparavant entonnées par le choeur, sont défendues par des parties isolées comme si les personnages du drame était incarnés par des solistes individualisés, séparés du chœur ; Bach souhaitant ainsi souligner l’esprit dramatique voire théâtral de sa passion.

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