mercredi 23 avril 2025

CD événement, critique. GIACOMO PUCCINI : Tosca. Eleonora Buratto, Jonathan Tetelman, Ludovic Tézier, Orchestra e Coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Daniel Harding (2 CD Deutsche Grammophon, oct 2024)

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Une nouvelle Tosca ? encore une énième version… le choix laisserait songeur s’il ne s’agissait pas de trois tempéraments vocaux plutôt prometteurs et qui dans la réalisation exaucent nos attentes… Le défi est immense car Tosca de Puccini exige des acteurs autant que des chanteurs et dans le réglage ténu des équilibres sonores comme du style, une voie médiane, précise, entre théâtre et chant. Puccini adapte d’ailleurs un texte qui est à l’origine la pièce de Victorien Sardou.

 

Ce réalisme qu’il défend sur la scène opératique prend sa source dans le geste théâtral qui l’inspire et cela s’entend ici, avec un relief et une intensité précise qui sont rendus possibles par la belle intuition des 3 protagonistes de l’enregistrement édité par DG/ Deutsche Grammophon, qui est le premier enregistrement du chef britannique Daniel Harding, nouvellement nommé directeur des équipes musicales de l’Accademia Santa Cecilia de Rome. Et comme nouveau directeur musical à Rome, le chef a choisi un ouvrage spécifiquement « romain », puisque ces 3 actes se déroulent au printemps 1800 dans 3 lieux emblématique de la ville éternelle : respectivement, l’église Sant’Andrea della Valle, le palais Farnèse et le château Saint-Ange.
L’exposition du premier acte qui permet de présenter le peintre bonapartiste Mario au travail, impliqué dans la fuite d’un fugitif, ennemi du préfet de Rome, situe d’emblée les oppositions : monarchiste tyrannique d’un côté, monstre de duplicité hypocrite (Scarpia) contre couple d’artistes portés par le bonheur amoureux (Mario le peintre et Tosca la cantatrice). En outre jaloux de tant d’amour, parce qu’il est dévoré par une passion coupable pour Tosca, le préfet infect, Scarpia, sous couvert de religiosité affichée, impose un ordre moral pour mieux piéger et Mario et Tosca : les deux amants seront chacun du frustré sadique ;

…Tout cela s’entend dans cette lecture efficace, affûtée, nerveuse qui file comme une lave surexpressive (avec un geste parfois épais et dur de la part du chef, qui ne s’encombre guère de détails, y compris dans les évocations atmosphériques, comme dans la prélude du III, au lever du soleil du soleil, sur les collines de Rome… ). Fort heureusement, les chanteurs sont superlatifs ;  ils relèvent les défis multiples d’une partition particulièrement théâtrale sans caricaturer ni rien diluer les 10001 nuances psychologiques de leur personnage. Puissance mais nuances en serait le mot d’ordre et la ligne stylistique.

Dès le premier acte, Eleonora Buratto déploie l’ampleur de son medium généreux, charnel, très incarné, affirmant immédiatement un tempérament de feu ; possessive et exclusive à Sant’Andrea, Floira Tosca est éplorée, combattive au II, enfin enivrée avec Mario dans un superbe duo d’amour (l’ultime, avant leur mort à tous les deux) au III quand les deux amants se retrouvent au Château Saint-Ange où le peintre est incarcéré (« Senti, l’ora è vicina »).
Mario est un emploi naturel et dramatiquement pour l’ardeur et l’intensité du ténor Jonathan Tetelman (« Vittoria, vittoria », II) qui déjà en 2023 pour l’année Puccini, avait enregistré un récital titre chez DG, regroupant les airs de Puccini les plus emblématiques, véritable déclaration d’intention pour les années à venir ( » The great Puccini « , sept 2023). Son « Lucevan le stelle », est d’une ivresse éperdu, dans un style fin et direct.
Plus fin ecore à notre avis, et jouant en orfèvre de sa voix, tour à tour lyrique, théâtrale ou insidieuse, le baryton Ludovic Tézier, serpente et ondule comme un reptile retors, tout concentré à son œuvre de destruction et de possession : l’acte II est une arène violente et sauvage, où les deux personnages (Tosca et Scarpia) se jaugent, s’évaluent, s’affrontent ; la délectation du jaloux haineux, véritable sadique traquant sa proie s’exprime à travers le chant millimétré et très contrôlé, droit, sans accents déplacés ni excessifs du baryton français. Outre le chanteur maître de sa palette, s’affirme l’acteur dont chaque intention prend corps dans les mille connotations du timbre. L’attention à chaque phrase donne l’épaisseur au personnage du baron et chef de la police, évitant cette caricature du caractère que l’on entend trop souvent. D’ailleurs la sensibilité expressive du baryton avait précédemment convaincu dans son approche du personnage de Germont père dans La Traviata : il y excellait entre sincérité et complexité, éclairant l’humanité par éclairs d’un autocrate qui impose sa loi.

Malgré une direction parfois lourde et un brin grossière, mais objectivement active, la caractérisation que défend chaque chanteur relève carrément le niveau général. L’Orchestre de l’Accademia Santa Cecilia déploie quand le chef ne force pas le trait, de somptueuses couleurs en clarté et transparence. Deutsche Grammophon ajoute à sa déjà riche riche discographie puccinienne, cette nouvelle lecture plus que convaincante : attachante, aux atouts indiscutables. D’autant plus opportune qu’elle marque aussi les 125 ans de la création de l’opéra à Rome… CLIC de CASSIQUENEWS printemps 2025.

 

 

 

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CD événement, critique. GIACOMO PUCCINI : Tosca. Eleonora Buratto, Jonathan Tetelman, Ludovic Tézier, Orchestra e Coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Daniel Harding (2 CD Deutsche Grammophon, oct 2024)
Lire aussi notre présentation de TOSCA de PUCCINI par Jonathan Tetelman, Ludovic tézier : https://www.classiquenews.com/giacomo-puccini-tosca-eleonora-buratto-%c2%b7-jonathan-tetelman-ludovic-tezier-orchestra-e-coro-dellaccademia-nazionale-di-santa-cecilia-daniel-harding-2-cd-deutsche-grammophon-oct-2024/
Plus d’infos sur le site de l’éditeur DG Deustche Grammophon / TOSCA de Puccini avec Jonathan Tetelman, Ludovic Tézier, Eleonora Buratto : https://store.deutschegrammophon.com/en/products/jonathan-tetelman-puccini-tosca
Parution : le 28 mars 2025

 

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LIRE aussi notre critique du cd The GREAT PUCCINI par Jonathan Tetelman (DG, sept 2023) – CLIC de CLASSIQUENEWS : / Airs d’opéras (Manon Lescaut, La Bohème, Tosca, Il Tabarro, Turandot, La Rondine…). Prague Philharmonia / Carlo Rizzi – (1 cd Deutsche Grammophon) : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-jonathan-tetelman-the-great-puccini-airs-doperas-manon-lescaut-la-bohemetosca-il-tabarro-turandot-la-rondine-pkf-prague-philharmonia-carlo-rizzi/

 

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