CD. Lully: Phaéton, 1683 (Rousset, 2012) … Poursuite du cycle des opéras (rares) de Lully par Les Talens Lyriques et Christophe Rousset. Les plus connaisseurs regretterons ici une baguette des plus tendues, sèche, râpeuse, ascétique sans guère d’abandon tendre ni de nostalgie subtile (n’est pas William Christie qui veut, désormais indépassable chez Lully comme chez Rameau) ; les plus ouverts et curieux, trouverons ce nouvel album comme le précédent (Bellérophon, également édité par Aparté) d’une évidente cohérence musicale, digne du plus efficace des ouvrages de Lully et Quinault.
Phaéton déséquilibré …
Le sujet en lui-même est d’une modernité exceptionnelle : le fils du Soleil, aimé par son père, veut afficher fièrement et orgueilleusement sa divine origine au risque de mettre en péril l’équilibre du monde : dirigeant le char d’Apollon, l’orgueilleux incompétent échoue à conduire les célestes chevaux : il est illico foudroyé par Jupiter.Le message est clair pour l’ensemble du royaume et à l’attention des courtisans muselés tentés par une audace hasardeuse. Le roi tranchera dans le vif toute velléité d’orgueil. Dramatiquement les auteurs cisèlent une action resserrée ; ils ajoutent une intrigue amoureuse assez légère mais utile en ce quelle embrase la souffrance et le ressentiment des caractères.
Lybie, future reine d’Egypte, qui aime Epaphus, se voit obligée d’épouser Phaéton. Celui-ci n’est que politique et d’un coeur plutôt insensible (il reste muet et distant vis à vis de celle qui l’aime, Théone). En vérité, Phaéton est un jeune arrogant ambitieux qui n’aspire qu’à assoir sa fausse grandeur, en particulier vis à vis du fils d’Isis, Epaphus.
Lully, angle rare dans un opéra politique, aime à exprimer ce lien du fils Phaéton à sa mère (Clymène, très attentionnée pour sa progéniture) et à son père : quand paraît Apollon, être sensible et pathétique, plutôt qu’astre héroïque et solennel ; cet aspect du dieu solaire est le point le plus attachant de l’ouvrage.Rousset réunit un plateau de chanteurs, finalement … déséquilibré voire peu convaincant. C’est le risque des prises uniques, la représentation et son enregistrement sur le vif à Paris ce 25 octobre 2012 n’ont pas réussi à tout le monde. Écartons d’emblée, trop faillible sur le plan du style comme de la musicalité (et de la justesse), la Théone d’Isabelle Druet (rien à faire : le timbre est étroit, la justesse peu assurée… faute de préparation ou d’approfondissement réel du rôle, les dérapages sont trop nombreux) ; dans le rôle-titre, Emiliano Gonzalez Toro manque de vision sur son personnage (pourtant dramatiquement passionnant) : maniérisme et affectation polluent un chant qui devrait sonner naturel et souple ; même constat hélas pour Andrew Foster-Williams, – bien que mieux chantant : son jeu confond engagement et … burlesque : il est fait trop pour le rival de Phaéton ; son Epaphus ressemble plus à un rôle bouffon qu’à l’amant de Lybie, grave et impuissant, être terrassé par le jeu politique et qui doit subir la vanité de son ennemi.
D’autant que le double coffret est d’un soin éditorial manifeste, défendant de la meilleure façon une oeuvre méconnue à torts : notice argumentée, livret intégral.
Si l’on regrette l’insuffisance du plateau vocal, la production laisse néanmoins envisager ce qui a fait le triomphe de l’ouvrage sous Louis XIV : sa grande séduction musicale, sa prosodie habitée et expressive, ses situations contrastées au très fort potentiel spectaculaire (les métamorphoses de Protée à la fin du I ; le tableau des heures et des saisons au début du IV… et évidemment la chute du char du soleil au moment où Jupiter foudroie l’orgueilleux fils d’Apollon …). A écouter de toute évidence.Lully : Phaéton, 1683. Cyril Auvity, Virginie Thomas… Les Talens Lyriques. Christophe Rousset. 2 cd Aparté. Enregistrement réalisé en octobre 2012.