CD. Mozart: Concertos pour piano n°20 et 25 (Argerich, Abbado, 2013). La grâce, la tendresse, le sourire de Mozart… Au festival de Lucerne 2013, les auditeurs ont eu la chance d’assister à l’un des concerts mozartiens les plus émouvants grâce à la complicité de deux artistes ici réunis après des duos précédents qui ont compté : Martha Argerich, la funambule émerveillée, et son compatriote le chef décédé en janvier dernier Claudio Abbado. Ils ont étonné par leur sens du jeu partagé et dialogué dès les années 1960 (voir notre photo en 1967). Voilà 10 ans que les deux interprètes n’avaient pas enregistré ensemble.
Dans ce doublé concertant, le n°25 s’impose par sa tendresse allusive, le fluide digitale de la pianiste qui semble retrouver la lumière et le mystère de l’enfance dans jeu perlé et liquide d’une absolue simplicité (climat d’une rêverie intacte dans l’andante central : l’accord flûtes / piano est à ce titre déchirant). Avec le 25, Mozart après Les Noces de Figaro vit une histoire d’amour avec les Praguois, qui mieux que les Viennois si conformes, lesquels ont boudé les Nozze, comprennent son style bouleversant. Ici sans clarinettes, la maturité laisse respirer une pureté de ton nourrie de candeur sûre parfois comme toujours traversée de gravité. L’orchestre Mozart de Claudio Abbado irradie de saine vitalité, jamais démonstrative mais d’un bout à l’autre comme traversée par les battements d’un seul cœur, celui d’une tendresse élégante, insigne du raffinement mozartien le plus délicatement abouti.
Magie mozartienne en complicité
Le 20 en ré mineur a la tonalité des élans plus tragiques, saisis par des mouvements paniques à laquelle Abbado transmet une énergie à la fois fine et incarnée d’une absolue portée humaine. En février 1785, Wolfgang laisse l’une de ses pages les plus personnelles : fondant l’hypothèse que ses Concertos sont bien tel un livre ouvert, le miroir de ses instants vécus les plus essentiels dans sa vie d’homme et de musicien. Ce tragique qui marque aussi l’ouverture de Don Giovanni s’accorde ici avec la finesse pudique propre à Mozart, alors établi à Vienne comme le plus grand compositeur de son temps, adulé comme tel par son père qui assiste à la création et aussi par Haydn, totalement bouleversé par le souffle déjà romantique du morceau. Le couple Abbado/Argerich réalise ici un accomplissement poétique d’une éloquence juste entre tendresse, aspiration, hypersensibilité (n’oublions pas que Carl Philipp Emanuel n’est pas loin : véritable modèle pour Mozart alors). La Romance diffuse son caractère enchanté tel un songe hors du temps.
Le rondo final se distingue tout autant par son feu olympien, soulignant dans la complicité de deux artistes, une joie et une intensité rarement atteinte dans un programme. L’orchestre en totale harmonie avec le piano soliste (oeuvrant comme s’il en était une émanation organique) bouillonne, crépite, s’emballe avec la transe de la première excitation, en une fièvre dansante souvent irrésistible. Programme bouleversant et après le décès du maestro, parmi ses ultimes enregistrements, l’un de ses plus déchirants. Incontournable.
CD. Mozart: Concertos pour piano n°20 et 25. Martha Argerich, piano. Orchestra Mozart. Claudio Abbado, direction. enregistrement réalisé en mars 2013, Festival de Lucerne. 1 cd Deutsche Grammophon 028947 91033 6.