CD. Poulenc : mélodies. Sophie Karthäuser, soprano (2013, Harmonia Mundi). Exquise interprète de la finesse piquante parfois ambivalente du Poulenc mélodiste (d’une fausse simplicité apparente et d’une grande profondeur poétique en vérité), la soprano Sophie Karthäuser nous offre ici une véritable leçon de chant français, dans le sillon de sa compatriote belge Anne-Catherine Gillet dont l’album dédié aux Illuminations de Britten d’après Rimbaud et à l’éternel Berlioz (Les Nuits d’été : cd Aeon) avait de la même façon convaincu la Rédaction cd de classiquenews.com. Subtilité, grâce volubile, richesse poétique et intonation stylée, alliée à une perfection articulée font ici la valeur de ce recueil choisi où l’impertinence flirte avec la délicatesse en une combinaison divinement trouble : les climats poétiques sont aussi divers et ciselés que leurs auteurs littéraires : Apollinaire (superbe ivresse d’Hôtel…), Louise de Vilmorin (émaillés de vocalises emperlées réjouissantes), Paul Éluard (Tel jour tel nuit, 1937), Maurice Carême (la facétie s’y glisse en délire parfois surréaliste : « les anges musiciens » qui donnent leur titre au récital, ou « Quelle aventure! »… extraits de La Courte Paille, cycle de mélodies, créé en 1961)… Au-delà de la constellation polysémantique, se cache subrepticement une gravité douloureuse, la conscience plus grave qui s’enracine à l’évocation des souvenirs tragiques (Bleuet, 1939, d’après Apollinaire -de loin le poète qui l’inspire le plus : évocation des jeunes forces viriles fauchées sacrifiées sur le front de guerre : l’on ne saurait alors omettre de mettre en parallèle le propre destin d’Apollinaire…
le chant pudique, facétieux, suggestif de Sophie Karthäuser
La clarté du timbre, la précision naturelle de l’intelligibilité apportent une touche de juvénilité savoureuse : on y goûte autant la perfection du verbe chanté que le raffinement poétique d’une interprète à la pudeur suggestive. L’éloquence de la diva pour ce premier récital discographique a ciselé un choix de mélodies parmi les plus inspirées et les plus secrètement facétieuses, jouant de la simplicité comme d’une fausse ingénuité. Mais la sincérité du ton, l’élégance des phrasés expriment la richesse du Poulenc mélodiste, un peintre miniaturiste qui n’écarte pas la pluralité des sens. Sophie Karthäuser est une remarquable diseuse, habile et charmeuse, à l’énoncé franc et railleur, capable de fraîcheur et de sincérité comme de vérité crue, glaçante, saisissante par sa candeur rêveuse, toujours très juste. Elle se hisse d’emblée au niveau de ses meilleures années : Felicity Lott et Régine Crespin.
C’est aussi la complicité de deux artistes qui semble ressusciter le duo Francis Poulenc et le baryton Pierre Bernac : même amour du verbe, même suggestivité filigranée grâce à l’accord voix/piano. Seule réserve cependant : parfois la caractérisation experte du pianiste dans couleurs et résonances infimes trouble la claire projection du chant de la cantatrice qui elle réalise une présence miraculeuse de chaque mot.
L’album enregistré au moment du 50ème anniversaire de la mort de « Poupoule » apporte aujourd’hui sa plus vibrante offrande, celle d’une mozartienne accomplie, fervente interprète baroque également que l’on n’attendait pas chez Poulenc avec autant de suavité grave, de justesse sincère. Nouvelle référence et donc CLIC de classiquenews.
Sophie Karthäuser, soprano. Mélodies de Francis Poulenc – 1 cd Harmonia Mundi HMC 902179. Enregistrement réalisé en 2013