CD. Provenzale : La Stellidaura Vendicante (Alessandro de Marchi, 2012). Il fut un temps, à l’époque du feu label Opus 111, depuis racheté par Naïve, Provenzale occupait une place non négligeable du catalogue discographique grâce entre autres à l’audace défricheuse de l’ex Capella dei Turchini (Antonio Florio, direction) qui s’était fait une spécialité de défricher l’œuvre prolifique du Napolitain. Un tempérament taillé pour l’opéra qui aux côtés des perles comiques et des oratorios et drames sacrés (spesames fervents de Rosalia dans La Colomba ferita), nous offre ici un opéra tragico héroïque de 1674, nouveau jalon de l’opéra parténopéen du premier baroque (Seicento). S’y agrègent tous les ferments d’un génie lyrique et dramatique puissant et terriblement sensuel (Cavalli le sublime vénitien n’est pas loin) au service d’une action qui met en scène l’indomptable et loyale Stellidaura, femme déterminée et courageuse, prête à tout pour sauver son amant Armidoro, bravant le cynisme barbare de son ennemi, l’inflexible Orismondo : Stellidaura est donc une préfiguration de Leonora et de Tosca, une lionne faite femme.
Stellidaura, la veine pathétique et sensuelle de Provenzale
L’ouvrage est inspirée de la cantatrice Giulia de Caro, directrice du San Bartolomeo de Naples qui passa commande à Provenzale. Exhumée en 1997 (Bruxelles, La Monnaie), la partition est ensuite remontée en 2012 à Innsbruck, sous la tutelle du même chef explorateur, Alessandro de Marchi et son ensemble Academia Montis Realis. L’Italien devenu après René Jacobs, directeur du festival d’Innsbruck, entend reproduire le miracle des représentations passées, un peu à la façon de La Calisto de Cavalli pour le même Jacobs. Las, la distribution est loin d’être à la hauteur de l’ouvrage et les instrumentistes de de Marchi n’ont pas toute le flexibilité ni la science dynamique… des Turchini. Ni même la verve versatile, entre langueurs sincères et amoureuse du couple héroïque (Stellidaura et Armidoro) et comique déjanté voire délirant des personnages secondaires (dont évidemment des dérapages plébéiens cocasses voire picaresques. ici en dialecte calabrais)…
Dans le rôle titre, la mezzo Jennifer Rivera affirme un tempérament vocal généreux quoique manquant parfois de nuances, son vibrato permanent nuisant aussi à la clarté de l’émission. Face à elle, Carlo Allemano sait en revanche nuancer le rôle du méchant Orimsondo dont le désir et l’activité de la la jalousie se dévoile, tissant un être de chair et de sang, se révélant plus humain que mécaniquement barbare : un individu et non plus un type. (très beau lamento amoroso : « Trà pianti e sospiri »). D’un tessiture ample et d’une présence continue, le rôle du ténor amoureux et fervent, coloriste aussi, Armidoro est plus bancal : Adrian Strooper manque de finesse, de clarté, de justesse aussi : schématisant un personnage qui exige éclat, tendresse, intensité. Domestique à l’origine tenu par le castrat juvénile Nicolo Grimaldi (Nicolini alors âgé de 12 ans… qui créera Rinaldo de Hanedel), Armillo est ici défendu par le contre ténor Hagen Matzeit, loquace, ardent malgré sa petite voix.
En fosse, chef et instrumentistes peinent à exprimer l’extase amoureuse comme l’ivresse bouffe des situations. Le geste reste étroit, systématique en un continuo peu caractérisé et lui aussi peu nuancé, qu’un Ottavio Dantone et sa Academia Bizantina (vrai rival dans ce répertoire) aurait certainement mieux sculpté. Il y manque un soupçon de dépassement, de transe, de vertiges comme de délire… autant de critères déterminants qui font les grandes interprétations au service des grandes œuvres (c’était le cas de La Calisto de Cavalli par Jacobs dans la mise en scène de Wernicke : un must devenu légendaire). Avec l’intensité (et l’épaisseur vibrée) de Jennifer Rivera, la production d’Innsbruck en avait la promesse… mais le cast reste bancal et les instrumentistes, trop neutres. Tout est trop poli.
Francesco Provenzale (1624 – 1704) : La Stellidaura Vendicante (Naples, 1674). Opéra en 3 actes sur un livret d’Andrea Perrucci. Stellidaura : Jenifer Rivera, mezzo-soprano. Orismondo : Carlo Allemano, ténor. Armidoro : Adrian Strooper, ténor. Giampetro : Enzo Capuano, basse. Armillo : Hagen Matzeit, contre ténor. Academia Montis Regalis. Alessandro de Marchi, direction. 2 cd, DHM. Enregistrement réalisé à Innsbruck en 2012.