CD. Strauss conducts Strauss (7 cd Deutsche Grammophon). Coffret complémentaire aux opéras du maître – somptueusement réédités en une intégrale lyrique événement chez Deutsche Grammophon, voici l’autre carrière de Strauss, non pas le compositeur mais le chef d’orchestre. Une personnalité très célébrée de son vivant évidemment au service de ses propres œuvres dont il assura les nombreuses créations avec une nervosité et cette précision inouïe qui surgit de tous les enregistrements ici réunis.
L’élève de Bulow
Strauss doit à Hans von Bulow sa carrière précoce de Kapellmeister : le chef wagnérien, créateur de Tristan et des Maîtres Chanteurs de Nuremberg le fait engager comme son assistant : le jeune Strauss âgé de 21 ans se taille une place de choix à la Cour de Meiningen. De Bulow, Strauss apprend la discipline, l’exigence, le travail sur les œuvres pour en comprendre donc en exprimer l’intensité poétique, la fulgurante vérité. Rien de mécanique dans ce regard, sinon le scrupule d’un esthète qui veut comprendre profondément les partitions qu’il est amené à diriger. En cela, Strauss incarne comme Gustav Mahler la double activité d’une pensée musicale en action : composer et diriger.
L’acuité et l’intelligence du Strauss chef d’orchestre ne tardent pas à porter leurs fruits : à Meinengen, puis surtout Munich, enfin Berlin (Orchestre royal de Prusse dès 1898), le chef approfondit son métier. Il dirige aussi à Bayreuth (5 représentations de Tannhäuser en 1894) à l’époque où le jeune compositeur porte à Munich de 1889 à 1896) en une forme inégalée depuis, l’essor du poème symphonique dans le sillon de Liszt et Berlioz. Un tel génie de l’écriture dramatique doué pour l’orchestration, dévoile comme chef une même vitalité irrésistible. Les deux carrières sont encore plus intimement mêlées lorsqu’il prend la direction de l’Opéra de Vienne (avec un autre chef Franck Schalk) en 1919, l’année de la création de son opéra romantique féerique et oriental, La Femme sans ombre (sur le livret de Hugo von Hofmannsthal). Strauss codirigera ainsi l’Opéra de Vienne et jusqu’en 1924. Gustav Mahler avait dirigé l’auguste maison avant lui de 1897 à 1907.
Contrairement à ce qui a été dit et repris sans respect de la réalité, la direction de Strauss ne se limite pas au tic tac régulier d’un bâton porté par un impatient soucieux de faire valoir la montre… image bien réductrice d’un immense musicien qui connaissant la musique et le drame musical de l’intérieur, savait exprimer l’essence poétique des situations comme personne : tous les témoignages de l’époque sont unanimes pour reconnaître sa valeur comme mozartien, -entre autres- ardent défenseur et vibrant interprète de Cosi fan tutte, son opéra préféré de Wolfgang, alors très peu connu. En plus d’être un travailleur acharné, Strauss fut aussi capable d’un rare discernement.
Le legs de ce coffret de 7 cd dévoile en mono, la baguette souple, ardente du chef dans les années 1920 et 1930, d’une légèreté idéale au service de ses propres œuvres, majoritairement avec l’orchestre de la Staatskappelle de Berlin. Le plus tardif reste Don Quichotte de 1933. Complémentaire, le cd 3 éclaire l’approche plus efficace encore du maître mûr en 1941 avec l’orchestre d’Etat de Bavière (Bayerisches Staatsorchester) dans Une vie de héros où règne l’éclat d’une vitalité préservée, intacte.
Autre pépite du coffret, les 3 Symphonies ultimes de Mozart, traversées par une activité trépidante soucieuse de contrastes et de lumière intérieure, et les Symphonies 5 et 7 de Beethoven, conquérantes, structurées, claires et allantes, témoignages précieux du compositeur maestro, enregistrés alors avec la Staatskappelle de Berlin en 1926.
Strauss by Strauss méritait bien cet éclairage exhaustif. Il reste aux amateurs à (re)découvrir ses dernières captations réalisées pour le Reich avec le Philharmonique de Vienne en 1944 : là aussi un témoignage à connaître indiscutablement, révélant le très grand interprète de ses propres œuvres comme ici le défenseur inspiré de Mozart et de Beethoven.
Coffret Strauss conducts Strauss. 7 cd Deutsche Grammophon. Strauss : Don Juan, Till Eulenspiegel, Intermezzo (extraits), Danse des 7 voiles de Salomé (Berliner Philharmoniker), Don Quixote, Suite du Bourgeois Gentilhomme, Ein Heldebleben (Une vie de héros), Valses du Chevalier à la rose, lieder. Mozart, Beethoven. Staatskapelle de Berlin, Bayerisches Statsorchester. Richard Strauss, direction (1926-1941).