CD. Vivaldi: Catone in Utica (Curtis, 2012. 3 cd Naïve) … Nouveau jalon de l’intégrale des opéras de Vivaldi chez Naïve. Après Scimone (1983), Malgoire (rétablissant l’acte I manquant en 1997), voici pour ce Caton in Utica de 1738 (créé au Filarmonico de Vérone dans les décors de Bibiena), le geste d’Alan Curtis dont l’arête vive, le style nerveux et sec soulignent la furià du Vénitien moins sa capacité à rompre la chaîne de la frénésie pour que enfin mais si rarement ici, s’affirme la lyre sensuelle voire extatique du divin Antonio.
Or tout cela est inscrit dans les actes parvenus II et III donc et s’il emprunte à l’Olimpiade sa formidable ouverture, le chef reste dans une tension certes dramatique dont l’âpreté à tout craint nous semble réductrice : où est ce Vivaldi poète enchanteur, celui des Quatre Saisons. Curtis réemboite le pas d’un Spinosi, tout muscles et rage, évitant de s’alanguir trop, mais sans disposer ici d’un plateau vocal totalement convaincant.
Apreté de Curtis …
Parlons d’abord du Catone, en demi teintes, du ténor Topi Lehtipuu glaçant, tendu lui aussi, au rythme linguistique carnassier qui rehausse cependant la figure du rival de César : la ligne manque de clarté, tous les aigus sont engorgés et les vocalises patinent mais le mordant du personnage parvenu en fin de course, vieux sénateur incarnant l’idéal républicain face à l’ambition du jeune César (Roberta Mameli : âpre et trop droite, voire limitée dans les airs) paraît suffisamment pour offrir du personnage un portrait » à la romaine « , riche en vivacité mais d’un style parfois douteux (minaudant entre maniérisme et affectation de toutes sortes).
Plus nettement passionnante la figure d’Arbace dont la soprano Emöke Barath fait une sorte de Cherubino ardent et très impliqué (mais en soprano) dans récitatifs et arie ; grave et sombre, mûre avant l’âge, la fille de Catone, Marzia est campée par Sonia Prina, contralto à la profondeur sauvage et droite, souvent martiale : un vrai garçon manqué… qui pourtant malgré la fureur de son père (II) avoue son amour pour l’ennemi incarné : César (ici soprano métallique). C’est compter sans la fin stratège qu’est le vainqueur de Rome : là, l’intrigue de la veuve de Pompée, Emilia (formidable Anne Hallenberg), définitivement remontée contre César, tente d’exacerber (vainement) la haine plus récente de Caton : mais vaincu à Utica celui-ci tente de se suicider …
Au final dans ce jeu des identités fortes affrontées et, sur le plan des tessitures, inversées : unis dans la haine, Catone et Emilia sont remontés contre César ; propre à l’opéra baroque qui aime mêler les sexes, Cesare est un soprano vif voire cynique opposé par exemple à celle qu’il aime, Marzia (à l’inverse, profond contralto) ; d’emblée, le travail théatral et psychologique est indiscutable : les récitatifs magnifiquement articulés s’imposent.
Pour l’Emilia d’Ann Hallenberg, l’Arbace d’Emöke Barath, et aussi le Fulvio de Romina Basso, cette nouvelle lecture du Catone vivaldien, version Curtis 2012, mérite absolument d’être écoutée. Dommage que Curtis s’entête à surligner l’expressivté vivaldienne en écartant toute langueur au profit d’une permanente tension. Après tout, Vivaldi valant bien Handel, il serait temps d’envisager chez le Vénitien un même théâtre : émotionnel, riche, palpitant, contrasté. Le défi des nouvelles générations ?
Antonio Vivaldi (1678-1741) : Catone in Utica, 1738. Topi Lehtipuu, Catone. Ann Hallenberg, Emilia. Roberta Mameli, Cesare. Sonia Prina, Marzia. Romina Basso, Fulvio. Emöke Baràth, Arbace. Il Complesso Barocco. Alan Curtis, direction. 3 cd Naïve. OP 30545.