mardi 22 avril 2025

Chorégies d’Orange 2012Du 7 au 31 juillet 2012

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Chorégies d’Orange 2012 (84)
Orange, du 7 au 31 juillet 2012

Puccini : La Bohème, Turandot. Mozart, Requiem. Direction musicale Myung Whun Chung et Michel Plasson

Parfois
Orange – centré sur sa coutume de l’opéra en double (redoublé… par les
représentations)- compose un portrait d’auteur. Cette année, c’est
Giacomo Puccini, en son premier chef-d’œuvre absolu, la Bohème, et son
chant du cygne, l’inachevée Turandot.
Deux partitions antithétiques,
mais unies par l’amour « secret » que le compositeur voue à ses figures
féminines presque toujours emportées par l’émotion. Et tant aimées par
les publics du lyrique aujourd’hui, alors que Puccini fut en son temps
et par crises ultérieures minimisé, ou classé en catégories de facilité
mélodramatique ou d’écriture à la fois complexe et trop soucieuse
d’effets.


Des opéras pour les Français ?

La Bohème (1896),
le plus aimé des opéras de Puccini ? Peut-être… en tout cas s’il est
mis « en face » des splendeurs dramaturgiques de la Tosca ou du
hiératisme exotico-psychanalytique de Turandot. On dira aussi « le plus
humain », surtout pour des Français. Pourtant, les Cisalpins n’ont-ils
pas Manon Lescaut ? Mais Manon et Des Grieux sont du XVIIIe, Ancien
Régime, Lumières et transgression, tandis que les bohêmes parisiens, des
quasi-contemporains pour les spectateurs du XIXe finissant, nous
parlent d’une société encore présente à sa façon. Et qui « éclaire » des
conflits toujours lisibles, malgré l’évolution des mœurs, sur la
liberté des femmes, les rapports de l’art et de l’Ordre moral et
politique. Ainsi, en à peine deux heures et 4 actes, les librettistes et
leur musicien exigeant – « jamais content » ! – auront su extraire une «
belle histoire » d’un roman à clés français. De nos jours, qui –
hormis les spécialistes d’histoire ou de sociologie littéraires –
consulterait encore les œuvres d’Henry Murger, s’il n’en émergeait ces «
Scènes de la vie de Bohême » (1850), au demeurant bien tournées et
agencées, où prend place une mosaïque sur la vie des jeunes artistes
parisiens, fauchés ou tirant le diable par la queue ? Cette « tranche
de vie » pré-naturaliste ramène au questionnement ironique de Gide dans
Les Faux Monnayeurs sur « le sens dans lequel il faut la couper », bien
qu’il ne s’agisse pas là d’un roman de nature flaubertienne et à plus
forte raison « zolienne », et que Murger rassemble en
parution-feuilleton une histoire qui s’appuie sur du vécu personnel.


Grisettes, lorettes et Vénus de barrière

Car
en arrière de ce qui pourrait nous sembler bien « daté », il subsiste
aussi un formidable révélateur – comme on disait pour la photographie de
naguère – du gouffre de liberté qui alors et si longtemps sépara
l’homme et la femme. Ou si on préfère : la profondeur de sépulture
sociale et psychologique où gisaient des jeunes femmes que peuvent
contempler les hommes qui ont profité de leurs « charmes » en les
rémunérant et les méprisant plus ou moins silencieusement. En cette
geste des amours tarifées parfois vient s’introduire le correctif de «
la mort qui toujours gagne », en particulier sous le masque des « maux
d’amour » (colportés par les femmes, bien sûr, et donc elles sont
encore plus coupables !), ou de la phtisie, « mal du siècle » qui
touche aussi et encore plus fortement les pauvres. Comme le dit
métaphoriquement, mais en s’adossant au réel, Baudelaire dans Le Spleen
de Paris : « Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du
désir de changer de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et
celui-là croit qu’il guérirait à côté de la fenêtre. » Et selon une
intéressante variation terminologique, tant de femmes – dans la vie
vécue, dans les fantasmes ou récits d’écrivains ou d’artistes –
appelées par hiérarchie savamment mélangée, avec montée, panne ou
descente de l’ascenseur social : grisettes, lorettes, hétaïres,
demi-mondaines, courtisanes, trottins, midinettes, poules, cocottes, «
Vénus de Barrière »,sans oublier, à part, les fières lionnes (femmes
conquérantes, en tout bien, tout honneur)… Dessins, gravures, affiches,
photographies, tableaux, romans, poèmes ne cesseront tout au long du
siècle et dans le début de l’autre, d’évoquer cette Comédie
Dramaturgique aux cent actes divers, de Baudelaire en Zola, de
Maupassant ou Goncourt et Proust, de Manet en Toulouse-Lautrec et Degas,
avant que plus tard le cinéma ne sache en dresser décors et climat
merveilleux dans Les Enfants du Paradis….


Naturalisme et vérisme

Et
la musique Française, qu’a-t-elle à dire sur tout cela ? Bien sûr, à
l’opéra, elle érige la superbe Carmen, dont la théorique hispanité de
cigarière andalouse ne saurait cacher l’universelle proclamation de
liberté « trans-classes-et-frontières »… Mais après le coup de génie que
Bizet accomplit en 1875, l’année de sa mort si précoce, rien n’est
comparable – sauf des « sujets » comme ceux de Charpentier dans Louise
puis d’Alfred Bruneau – à l’épanouissement annoncé dès 1853 par la non
moins géniale Traviata de Verdi et réalisé par le vérisme ancré dans la
réalité sociale transalpine (le romancier Verga jouant là le rôle
déclencheur qu’eût pu avoir en France le naturalisme de l’école
Zola).Puccini – le plus « purement inspiré » de ce mouvement très
ancré » dans la réalité sociale – choisit avec Bohème « le pays d’à côté
», sa capitale, ses artistes. Mais « les petites femmes de Paris » ne
sont pas ici celles qui désirent l’ascension sociale avant tout, pas
même la volcanique Musette avec son riche Alcindor, ni à plus forte
raison l’émouvante Mimi, la timide brodeuse qui un soir de Noël s’en
vient « quérir du feu » chez ses voisins de la mansarde et va devenir
avec son Rodolphe le centre émotif, la raison d’être de l’opéra.


Quatuor bohémien

Le
Quatuor bohémien – Colline l’intello, Marcel le barbouilleur,
Schaunard le croque-notes, Rodolphe le journaleux par force – a sa vie,
sa substance, son côté miroir d’une vie bouillonnante, en marge
idéaliste de l’Argent qu’il tourne en dérision et dont il arrive à
grappiller les miettes. Et cette Bohème est diptyque où d’abord est
montrée toute une vitalité de polyphonie scénique, tour à tour joyeuse
et provocatrice. Comme si Puccini prenait modèle sur la verte
vieillesse qu’à ce moment Verdi exprimait en son « automne du
patriarche » dans un Falstaff créateur et « déjanté ». Mais en ses «
tableaux parisiens », comme eût dit Baudelaire, ce n’est pas l’atroce
solitude – par ailleurs envahie de misogynie – du poète français : les
artistes vivent solidaires. Tel est le sens qui traverse la 1ère partie
de l’acte I et l’acte II (Noël au Quartier Latin).


« J’aime les êtres qui ont un cœur comme le nôtre »

Puis
vient l’ «ouverture » de l’acte III, cette Barrière d’Enfer que
certains disent hâtivement impressionniste – elle le serait en effet par
l’écriture, avec ses « quintes vides glaciales »- en oubliant que tout
en impressionnisme n’est pas extase devant les beautés de la nature…
Tournant de l’œuvre, son axe à la fois évident et secret permet
d’accéder à la densité tragique d’une partition entreprise pour révéler
un accomplissement du destin ravageur et ravagé de l’amour, en ses
mélodies – l’autoportrait de Mimi – comme en ses leitmotive a-musicaux,
ainsi la toux- ponctuation qui « creuse » le personnage détruit de
l’intérieur. « Je ne suis pas fait pour les actions héroïques. J’aime
les êtres qui ont un cœur comme le nôtre, qui pleurent sans hurler et
souffrent avec une amertume toute intérieure » : l’investigation lucide
accomplie par Puccini (rappelée par Janine Bensaïd) mène, en toute
logique scénique et musicale, à cette fin de l’opéra où Mimi « entre en
mort » comme…sa petite sœur médiévale et symboliste, Mélisande qui cinq
ans plus tard témoignera de ce que « l’âme humaine, très silencieuse,
aime à s’en aller seule »… Alors peut venir la coda, dont après les
sanglots désespérés de Rodolphe, Puccini a su faire un adieu orchestral,
une estompe en raréfaction du son qui respecte la distance que tout art
doit savoir prendre avec la mort en action…L’Orchestre de Radio-France
et 5 Chœurs sont conduits par Myung Whun Chung, la très puccinienne Inva
Mula y est Mimi, le verdien et puccinien Vittorio Grigolo incarnant
Rodolphe. Il incombe à Nadine Duffaut de faire rayonner l’intimisme
lyrique de Puccini au milieu des scènes collectives du vérisme parisien…


Tutt’opera

Avec
Turandot
, nous entrons dans un tout autre domaine. Selon la
chronologie, bien sûr : non seulement plus d’un quart de siècle après
son 1er chef-d’œuvre, la Bohême, mais aussi et parce que c’est
aboutissement du processus compositionnel. Puccini avait ainsi exploré
plusieurs façons de continuer l’histoire de l’opéra : lyrique-intimiste
avec Manon Lescaut et la Bohème, dramaturgie violente avec La Tosca puis
Madame Butterfly, et La Fanciullla del West, patchwork falstaffien avec
le Tryptique… Puccini n’est-il pas l’exemple d’un auteur qui s’est voué
presque totalement à un monde, celui du lyrique, car sauf dans sa
jeunesse – où paraissent quelques œuvres religieuses ou instrumentales
de moindre importance, tout en lui demeure arc tendu vers la scène et
ses accomplissements. Il est « tutt’opera », de 30 à 66 ans. Et à son
époque, plus encore que Verdi, presque comme Wagner (ou Massenet, si on
se permet la comparaison). Passeur d’un monde à un autre, de celui de
Verdi, justement, à… pourquoi pas ? celui de Berg ? Oui, qui sait ce
qu’eût découvert la vieillesse de Puccini dont certes la conception
musicale se montrait formidablement théâtrale, mais qui ne
méconnaissait pas la modernité issue de Schonberg et Stravinsky, deux
révolutionnaires qui à leur tour ne minimisaient pas du tout sa
créativité ?
Vers l’Ile des Morts
Mais voilà qu’on se heurte
encore à la mort qui toujours gagne. Car Turandot – dont la composition
est laborieusement étagée sur 4 ans, conquise de haute lutte contre le
découragement, dans l’impatience despotique, quasi esclavagiste, devant
les lenteurs de l’adaptation – finit par se briser contre les récifs
d’une Ile des Morts à la Boëcklin. En témoigne spectaculairement la «
mise en scène » de Toscanini arrêtant la représentation de l’opéra («
Ici, le Maestro est mort ») là où il n’y a plus qu’esquisses . Le
compositeur , dans ses dernières semaines , n’avait pu dépasser ce qui
restait peut-être pour lui le sommet indépassable, la mort de la petite
Liu qui disparaît pour échapper à la torture et ne pas trahir son
prince Calaf. Qui sait ? identification de Puccini tourmenté par les
angoisses et les souffrances auxquelles une ultime opération va mettre
un terme brutal de délivrance ? La fin a beau être agencée par Alfani
dans un esprit respectueux, cette « happy end » qui voit la terrible
Turandot succomber à l’amour de Calaf enfin révélé sonne comme un faux
raccourci.


La cruauté des rituels

Car les « emprunts»
consentis par le compositeur à l’exotisme extrême-oriental, à l’image
de la réaliste Butterfly, ne sauraient ici cacher « la forêt de
symboles » d’une « inquiétante étrangeté » hérités du conte écrit par
Gozzi au XVIIIe. Il est vrai aussi qu’on pouvait voir dans Butterfly une
critique féroce du colonialisme européen, militaire et marchand,
opprimant les peuples de si vieille civilisation, tandis que Turandot
est sans âge, et même hors temps. « Opéra des énigmes » prolongeant les
pouvoirs du Sphinx, et ici l’immémorial coexiste avec l’archaïsme d’un
Pouvoir que rien n’explique. L’extravagante cruauté des rituels y «
flirte » avec le caprice d’une créature royale au statut ambivalent –
humaine, divine, la Princesse ? -, et les réactions des deux collectifs –
le « trio gouvernemental Ping,Pang, Pong, la foule si versatile entre
exigence du sang et bouffées compassionnelles – montrent qu’avec le
règne de l’imaginaire toute mutation demeure, dans l’instant et contre
toute logique d’idéologie ou de psychologie, nécessaire et- suffisante.


Sa Grandeur Vierge Turandot


Dans
le thème central qui a toujours fasciné Puccini – « l’infracassable
noyau de nuit », dont va bientôt parler André Breton -, la passion
amoureuse oscille en ses incarnations. Ce peut être, dans le réalisme
vériste, aux confins hugoliens et mussetiens , ce « mélodrame où a
pleuré Margot. Ou par la sublimation du conte philosophique, là où règne
la Beauté d’une Femme invoquée par Baudelaire : « Je suis belle ô
mortels comme un rêve de pierre, et jamais je ne pleure et jamais je ne
ris. » Et que « la Princesse Turandot est belle ! » sous ses masques
polaires, qui reste si longtemps en scène sans chanter ou même parler,
cousine de la Sphinge qui propose ses Questions aux carrefours, et
probablement pour elle-même Question Sans Réponse. Il n’est pas
étonnant que Puccini ait éprouvé le désir d’imaginer, en face de Sa
Grandeur Hiératique Turandot, Liu l’esclave et Fille-Courage qui fut
séduite en coup de foudre par le Prince Calaf et en mourra pour le
sauver. Et qui symboliquement, peut-être, « accompagnera » aux rives du
Styx son compositeur, avec « tout le cortège de ses chères petites
femmes au destin tragique » (dit Hélène Cao).


Hypnose et coda pianissimo

«
Immense effet d’hypnose, redoublé encore par la menace de
l’atmosphère nocturne » (Isabelle Moindrot), omniprésence des
chiffrages (notamment le 3), énigme du « Poi Tristano »(Et après, vient
Tristan), laissé wagnériennement dans le manuscrit, originalité très
neuve d’une écriture instrumentale et vocale qui a même poussé Luciano
Berio à écrire une « autre » fin que celle d’Alfani à l’opéra dont
Puccini aurait lui-même dit : « Turandot se termine pianissimo », tout
est là pour inspirer une vision moderniste au chef d’œuvre inachevé. Le
mystère l’emportera-t-il sous le Mur, qui par ailleurs pousse à des
effets de somptuosité scénique et de « drapé théâtral » séduisant mais
qui peut réduire, par optique visuelle et sonore, le scintillement du
lyrisme intériorisé ? Michel Plasson dirigera l’O.N.F, 5 formations
chorales, le quasi-vétéran (tout est relatif dans l’expérience !)
Roberto Alagna en Calaf s’affrontant à des novices-en-Orangie,
l’Américaine Lise Lindstrom (Turandot) et l’Italienne Maria-Luigia Borsi
(Liu), « tout un monde lointain » scéniquement conduit par Charles
Roubaud.
Et bien sûr, selon le rituel d’Orange, des concerts
ponctuent le parcours. Un Requiem de Mozart, O.P.R.F.conduit par Myung
Whun Chung (avec Patrizia Ciofi et Nora Gubisch), un patchwork lyrique
italo-français du XIXe guidé par Michel Plasson( O.N.F., avec Béatrice
Uria-Monzon et Diana Damrau), sans négliger – en cathédrale de la Ville –
une Petite Messe Solennelle de Rossini, dirigée par Samuel Coquard…

Chorégies d’Orange
(84).
Giacomo Puccini (1858-1924). La Bohème, samedi 7 , mardi 10
juillet 2012, 21h45 ; direction Myung Whun Chung. Turandot, samedi 28,
mardi 31, 21h30 ; direction Michel Plasson. Mozart (1756-1791),Requiem,
dir. Myung Whun Chung, vendredi 13, 21h45. Concert lyrique, dir. Michel
Plasson, lundi 30, 21h30. Rossini, Petite Messe, dir. Samuel Coquard,
vendredi 20, samedi 21, 21h30. Information et réservation : T. 04 90 34 24 24 ; www.choregies.com

télé: Orange 2012 sur France Télévisions

France Télévisions assure le service attendu d’un vrai
grand media publique digne de ce nom, en diffusant en direct deux opéras
de Puccini depuis les Chorégies 2012 (41ème édition).
Cette année, Puccini est à l’honneur avec deux ouvrages au lyrisme
flamboyant: La Bohème puis Turandot. De la vie de bohème à Paris, aux
contes et légendes de la Chine ancienne et fantastique… En lire +

Puccini à Orange
l’opéra en direct sur France Télévisions



Puccini: la Bohème

mardi 10 juillet à 21h40
en direct sur France 2

Puccini : Turandot
Samedi 31 juillet 2012 à 21h30
en direct sur France 3

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