Lyon, CNSMD. Réouverture de la salle Varèse : les 27 février, 3 mars, 6 et 7 mars 2015. Nuit de Lunes, Mélodies de Charles Bordes, Passion selon Saint Jean. Enfin, la Salle Varèse – lieu important de la recherche, de la pédagogie et de la diffusion en agglomération lyonnaise – réouvre, après quinze mois de fermeture forcée pour glissement de terrain sur la colline au dessus du Conservatoire. Voici trois manifestations représentatives de ce dont on a été privé : une Nuit de Lunes (Kagel, Menozzi, Dallapiccola, Schreker), des mélodies France fin XIXe orchestrées , une Passion de Bach sous la houlette de l’organiste M.Radulescu.
Histoire d’O
D’ennuis interminables salle Varèse, on peut vouloir plaisanter. Dans le genre : la potion était amère, l’eau et la facture salées, glissez mortels n’appuyez plus, cette Histoire d’O sous Observance n’avait rien d’érotique, Déserts 2014 ou 60 ans plus tard….Bref, le grand éboulement qui ravagea la colline en décembre 2013 aura incapacité pendant une quinzaine de mois une part des activités publiques du CNSM (mais aussi la transmission des savoirs). Et malgré un bel élan de solidarité des organismes culturels dans l’agglomération lyonnaise, entravé l’organisation « centralisée » des manifestations et entraîné une fragmentation dispersante de bien des séquences. L’absence prolongée aura au moins eu le mérite paradoxal de souligner le rôle vital de cette salle qui n’a pas son égale entre Rhône et Saône, et où, entre autres qualités maîtresses, le contact des jeunes musiciens – l’ Orchestre , phalange pédagogique d’une work in perpetual progress-, les autres ensembles de dimensions plus réduites, tel l’Atelier XX-21 – se fait sans barrières intimidantes avec les publics de toutes générations.
Nuit de Lunes
Le titre choisi pour Varèse-le retour- a quelque chose de joliment furtif et fin d’hiver :Clair Obscur, alias Nuit de Lunes. C’est l’Atelier XX-21 animé par Fabrice Pierre qui tire le rideau des retrouvailles, et l’enseignant-clarinettiste(« basse ») Sergio Menozzi assume sa large part, avec deux pièces en création : « composer entre chien et loup, il aime à écrire pour et à jouer avec l’Autre. Troquant sa clarinette contre un saxophone, et avec la complicité de la harpiste Aurélie Bouchard », voici donc Lunes, puis Voix du Soir. » Un prestigieux aîné, Mauricio Kagel, est appelé à chanter en cette Nuit de lunes : son duo concertant de 1989, Zwei Akte , est un théâtre musical digne du Grand Argentin, quelque part entre célébration et imaginaire. Le saxo – masculin – et la harpe – féminin, bien sûr ! – y dialoguent, du stéréotype apparent de la représentation instrumentale (masculin/féminin) en subtilités et ironies : « des transitions imperceptibles, des nœuds acoustiques, qui comme la réalité peuvent être interprétés différemment par l’auditeur et moi » (Philharmonie de Paris).
La grande poésie de Machado le Républicain
D’une toute autre tonalité, la Piccola Musica Notturna, de Dallapiccola, écrite en 1954 longtemps après la disparition (1939) d’Antonio Machado. Ce devrait être aussi l’occasion de (re ?)visiter l’œuvre du si grand et discret poète espagnol, « frère de Llorca » qui le précéda de trois ans dans la mort . Machado fut l’un des écrivains les plus courageusement engagés dans le combat de la république contre le fascisme ; il avait pris parti, du côté de son « peuple » qu’il célébrait tant , et tout naturellement accompagna jusqu’au bout les républicains finissant par succomber sous les coups de l’ armée franquiste. Il lui fallut en hiver 1939 repasser la frontière française, et accompagné de sa mère très âgée, il mourut dans la détresse et le froid à Collioure (« Machado dort à Collioure », a plus tard chanté Aragon).
Une belle nuit d’été…
Oui, (re)lisons au moins ses Champs de Castille, leurs bouleversants appels aux paysages de l’enfance, et (re)prenons connaissance de si riches enseignements humanistes. La partition dallapiccolienne cite un de ces beaux paysages , pour nuit… d’été à venir :
« C’est une belle nuit d’été, Ils ont des maisons hautes Les fenêtres ouvertes Donnent sur la place de l’ancien village. Sue le grand rectangle désert, Des bancs en pierre, des haies et des acacias Symétriques Tracent leur ombre noire sur le sable blanc Au zénith, la lune, et sur la tour, la sphère, l’horloge, Illuminée. Je me promène dans ce vieux village Seul, comme un fantôme. »
Selon le critique A.Gentilucci, la richesse changeante de la trame du timbre est fractionnée suivant les thèmes à la manière de Webern. Le plus souvent sonorités légères, murmures bruissants de cordes, figurations précieuses des bois, illuminations suggestives de la percussion. Les élans violents des cors et des trompette cassent l’unité sereine du paysage musical par la dureté de leur blessure. »
L’Idée de Bartosch
A cette partition s’ajoute une Symphonie de chambre de Franz Schreker (1878-1934), grand compositeur d’opéras, « continuateur du théâtre post-wagnérien allié à certaines suggestions de l’impressionnisme, et introducteur d’agrégats polytonaux ». Les nazis ont brisé la carrière de ce compositeur, grand enseignant à Berlin dans les années vingt, mais on redécouvre désormais tout l’i térêt de cette œuvre novatrice. On ajoute à la séance d’ouverture une projection rare : « L’Idée », du cinéaste austro-hongrois Berthold Bartosch, qui employa avant Disney le principe de l’animation multiplane, d’après des gravures de Franz Masereel.
Paysages tristes
Le second voyage s’accomplit en un domaine géographiquement et chronologiquement plus restreint. Les « métamorphoses de la mélodie » sont sous le signe de Charles Bordes (1863-1909), un élève de César Franck, plus connu pour le combat mené en compagnie des très Français Vincent d’Indy et Alexandre Guilmant et symbolisé par la fondation de la Schola Cantorum, lieu de résurrection des musiques anciennes. Bordes compositeur de mélodies a travaillé sur ses contemporains poètes, Francis Jammes et Verlaine. Le chercheur Jean-François Rouchon , qui fait sa thèse de doctorat sur le compositeur, est aussi baryton et chef : il va guider les étudiants de la classe d’orchestration de Luca Antignani dans chemins des Paysages Tristes fort symbolistes, avec références aux illustres contemporains, Fauré, Debussy, Chausson et Duparc.
Haut-lieu des relectures
Et puis la Salle Varèse, c’est toujours le haut-lieu des réinventions et relectures du Classicisme. Quoi de plus proche d’Absolu que les Temples de J.S.Bach, ces deux ¨Passions qui instruisent, émeuvent, montrent tous chemins nouveaux. C’est cette fois la Saint-Jean qui rouvre la donne, l’Orchestre du département de musique ancienne et les solistes des classes de chant s’affrontant au chef-d’œuvre sacré sous la direction de Michael Radulescu. Cet organiste légendaire –né roumain en 1943, et naturalisé autrichien- veut « ancrer la signification de Bach dans le temps présent par des interprétations qui revêtent le caractère d’une réalité immédiate surprenante. » Oui, beau nouveau départ pour la Salle dédiée au plus révolutionnaire français des compositeurs du XXe !
CNSMD de Lyon, Salle Varèse. Nuit de Lunes (Dallapiccola, Menozzi, Kagel, Schreker), vendredi 27, 19h et 21h ; Mélodies orchestrées de Charles Bordes (mardi 3 mars, 20h ; Passion selon st Jean de Bach (M.Radulescu) : vendredi 6, 20h ; samedi 7, 18h. Renseignements et réservation : T. 04 72 19 26 26 ; www.cnsmd-lyon.fr
+ d’infos : Page dédiée « Nuit des lunes » sur le site du CNSMD de Lyon