(Opéra de Paris, 2005-2006)
Le contenu de ce coffret de fêtes ne peut que combler les attentes. Celles des curieux comme des amateurs de danse classique et contemporaine. Voici réunies 3 productions fétiches de l’ère Mortier/Lefèvre, emblématiques des années 2005 et 2006 avec entre autres solistes éblouissants de maîtrise et de grâce naturelle comme de tempérament dramatique: Marie-Agnès Gillot (Diane, Myrtha, La Mort) et Nicolas Le Riche (Orion, Albrecht, Le jeune homme/Don José). Coffret d’autant plus recommandé qu’il offre des versions de références de ballets rentrés au répertoire de l’Opéra de Paris: Sylvia (chorégraphié par John Neumeier), et les « classiques » indémodables que demeurent Gisèle et le diptyque des Roland Petit des années 1940: Le Jeune Homme et la mort (1946) puis Carmen (1949). Trilogie de premier choix. Cadeau idéal pour les fêtes de fin d’année.
1. Sylvia: Délibes (John Neumeier, 2005)
Pertinent Delibes. Grâce à sa Sylvia, le monde de la forêt, des suivantes de Diane, des chasseresses et des bergers n’a rien de la fantaisie légère et décorative du pastoralisme d’un Rameau ou des compositeurs du XVIIIè, lorsque ce dernier par exemple mettait en scène la mythologie grecque.
Sylvia est un ballet « moderne » créé spécialement pour le nouvel Opéra de Charles Garnier en 1876. Le confier à un nouveau chorégraphe tel Neumeier renforce sa séduction « contemporaine », sa construction nette et franche, qui nous éloigne ô combien des poncifs larmoyants et romantiques du ballet classique.
Ici, les hommes restent seules, incompris. Ils souffrent: Aminta, amoureux de la belle nymphe chasseresse, Sylvia, suivante de Diane, aime sans retour. Et même Diane qui se souvient de son bel Endymion, reste in fine, en fin de ballet, irrémédiablement seule.
L’amour est une souffrance, un délice mortel qui blesse et afflige. Voici donc un ballet bien peu conforme et complaisant qui offre un quatuor de rôles superbes pour des solistes rompus à l’élégance acrobatique.
Diane se languit d’Endymion, veut séparer Aminta de Sylvia, mais ne connaît aucun bonheur (sublime Marie-Agnès Gillot qui incarne une déesse et une femme, oxymore mémorable); Aminta reste un peu lisse et sans guère d’aplomb, un peu comme Ottavio dans le Don Giovanni de Mozart: un benêt fade qui admire sans se battre: est-il réellement digne d’être aimé de Sylvia (José Martinez), toujours aussi élégant et souple. Suivons la généalogie des rôles premiers: voici Sylvia, tendre, juvénile, d’une nervosité fière et idéale (Aurélie Dupont): elle est prête pour se laisser séduire par le bel et tentateur Orion (Amour déguisé), magnifiquement campé par le sensuel et félin Nicolas Le Riche, décidément admirable en prince des sens épanouis et séducteurs (à voir et revoir actuellement sur la scène du Palais Garnier en décembre 2008, son exceptionnelle incarnation du prince oriental Abderam dans Raymonda, chorégraphie de Rudoph Noureev!).
Comme toutes les productions actuelles, le Ballet de L’opéra de Paris démontre sa performance élastique et créative, son style incomparable, la cohérence de tous les tableaux, collectifs et solistiques. La chorégraphie de John Neumeier souligne la défaite du bonheur, la tension fatale auquel sont livrés les êtres les uns contre les autres: Orion/Amour/Thyrsis est seul vainqueur. Rien ne résiste à son élan trop désirable: « Amor vincit omnia « . Superbe spectacle.
2. Giselle (Polyakov, 2006)
Quelques mois après Sylvia, Giselle fait à nouveau l’affiche de l’Opéra Garnier pour les fêtes de Noël (décembre 2006), avec une qualité identique et une justesse de ton pour chacun des solistes distribués. Aucune faute de goût, intuition efficace de la part de Brigitte Lefèvre. En Reine des entités surnaturelles féminines, ces Willis qui hantent les bois humides pour y torturer et achever les fiancés indignes, Marie-Agnès Gillot éblouit le rôle de Myrtha: divinité de la nuit, étoile nocturne d’une allure inoubliable. Plus caractérisé par son jeu expressif/expressionniste, Wilfried Romoli est un Hilarion dépassé, émouvant. Nicolas Le Riche apporte à Albrecht, toute la profondeur du rôle, en particulier dans la seconde partie, quand après la mort de Giselle, le jeune duc, fier et hautain se brise sous le poids de la culpabilité et du remords. Son amour sincère bien que décalé et fatal puisqu’il a causé la mort de celle qui l’aimait, le sauve in fine, même si en fin d’action, il reste inconsolable et seul. Enfin, Laëtitia Pujol n’a pas la grâce juvénile et tendre d’une Aurélie Dupont, mais son port fin et incisif en fait une ressuscitée fantomatique indiscutablement saisissante pour la seconde partie du ballet-pantomine. La danseuse au geste millimétré, offre une représentation de la raideur fantastique, exigée par l’intrigue de ce ballet romantique et lugubre inspiré de Heine, créé à lOpéra de Parie, salle de la rue Le Peletier, en juin 1841, dans la mouvance des auteurs tels Bellini ou Chopin.
Rien à reprocher à ce festival de style, d’élégance, de fluidité, et de justesse. Là encore une éclatante réussite pour le Ballet de l’Opéra de Paris, à juste titre fixé en images. Lire la critique développée de notre collaborateur Alban Deags à propos de Giselle par Laëtitia Pujol, Marie-Agnès Gillot, Nicolas Le Riche, 1 dvd TDK)
3. Le jeune et la mort, Carmen (Petit, 2005)
En 1946, « Le jeune homme et la mort » conçu par Roland Petit qui l’écrivit en s’inscrivant sans réserve dans le courant existentialiste, demeure l’un des ballets contemporains, de veine classique, les plus emblématiques du style du danseur-chorégraphe. Carmen, créé en 1949 à Londres impose davantage son écriture dont la recherche de la pose expressive trouve (dans Carmen), son égérie, ambassadrice idéale, Zizi Jeanmaire qui deviendra son épouse.
La danse d’amour et de mort, désir et anéantissement mêlés, qui enlace et finit par étouffer et pousser au suicide le jeune danseur continue toujours de fasciner par la précision de ses enchaînements. Marie-Agnès Gillot incarne une fiancée/mort, fascinante par sa beauté implacable: « le jeune homme attend une jeune femme qui ne l’aime pas », nous précise le livret rédigé à l’époque par Cocteau. La Passacaille en ut de Bach se range du côté de l’homme, future victime de ce rituel satanique. Dire que Nicolas Le Riche jubile dans son personnage, reste en deçà de la réalité: fluide, sensible, puissant et tendre, l’interprète incarne un jeune homme possédé/dépassé par le puissant sentiment qui l’enchaîne dès le début du tableau, une triste et sinistre mansarde parisienne…
Même charge érotique pour cette Carmen, sur un résumé dramatique et musical de Carmen de Bizet. A 25 ans, en février 1949, Roland Petit montre combien il sait exprimer une action forte, sensuelle, démonstrative comme intimiste, jamais illustrative. Le Riche séduit par sa transe élégance et rageuse, radicale et désespérée (Don José). Claire-Marie Osta rayonne dans son jeu latin, éroticisé. La danseuse étoile (depuis 2002), impose une nature sauvage et fière, celle d’un insecte nerveux et déterminé, qui ne ploie sous aucune pression: flexible, tendue, jusqu’à se rompre, à la mort. Magnifique.
Coffret 3 dvd TDK.