Collection « voix Baroque »
15 titres réédités par Naïve
En mai 2007, la collection « voix Baroque » se décline en 15 chapitres. Naïve y réédite quelques fleurons des anciens labels Astrée et Opus 111, catalogues majeurs de l’édition « baroqueuse », qui regroupent plusieurs interprètes de première importance en provenance d’Italie (Rinaldo Alessandrini, Fabio Biondi, Antonio Florio…) et de France bien sûr, Fabre-Garrus, Gérard Lesne, Emmanuel Mandrin… La sélection offre une relecture d’albums en leur temps visionnaires voire absolus. Quelques dix, (et même pour certains enregistrements quinze) années après leur publication, certaines visions continuent de nous troubler par leur justesse ou leur prise de risques. Les visuels de couverture pour ce réhabillage de réédition donne une clé: en ciblant l’oeil plutôt que le visage entier, il s’agit bien de documents qui bien qu’appartenant au répertoire des musiques anciennes et baroques, nous frappent surtout par leur vérité, ce chant de l’intime et de l’individu. Car finalement, l’apport essentiel de l’interprétation dite baroqueuse, ne serait-elle pas sa vivacité d’approche et son incarnation? Rinaldo Alessandrini dont pas moins de 6 titres paraissent au sein de ce (premier?) cycle, fidèle interprète soucieux de l’expression juste des mots autant que des notes, n’est-il pas ici le détenteur d’une vision dominante: celle qui favorise l’expression du sentiment? Florio, Biondi… lui emboîtent le pas. C’est donc aussi, dans ces années de redécouvertes fameuses, la participation jubilatoire des Italiens dans le concert des exhumations décisives, offrant des réévaluations renouvelées autant que vivantes de leur répertoire. Bilan.
01. Allegri: Miserere. A sei voci, Bernard Fabre-GarrusDécédé à l’été 2006, Bernard Fabre-Garrus laisse dans cet enregistrement audacieux et somptueux l’un de ses meilleurs enregistrements. Lors de sa sortie en 1994, le disque (enregistré en 1993 sous étiquette Astrée/Auvidis) avait marqué avec raison les auditeurs. Fabre-Garrus alors aidé du musicologue Jean Lionnet, reconstitue avec les ornements du XVII ème siècle, le célébrissime Miserere, qu’il aborde une seconde fois, en fin de programme, dans sa « version classique », désormais familière, héritée des éditions des XVIII ème et XIX ème siècles. Outre cette lecture qui restera une curiosité de spécialistes, la gravure s’impose grâce à l’engagement des chanteurs d’A Sei Voci dans la Messe vidi turbam magnam du compositeur romain qui commença sa carrière comme sopraniste à l’église Saint-Louis des Français, au moment où Caravage finissait de peindre son fameux cycle pictural sur le thème de Saint-Mathieu.
02. Joseph-Marie Amiot: Messe des jésuites de Pékin
03. Jean-Sébastien Bach: Cantates BWV 85, 183, 199, 175
04. Caresana: Per la nascita del verbo. Cappella dei Turchini, Antonio FlorioVoici le disque des « origines »: une gravure qui fixe pour l’éternité les débuts flamboyants d’un jeune ensemble parvenu à un rare niveau d’interprétation, qui plus est, dans un répertoire qui sied idéalement à leur culture et à leur origine. Le verbe ici, magistralement articulé, associé à la divine musique d’un compositeur du premier baroque napolitain qu’ils auront ressuscité, comme nul autre, devient geste dramatique, prière d’une ineffable émotion. Gravure incontournable.
05. Charpentier: Messe pour le Port-Royal. Les Demoiselles de Saint-Cyr, Michel Chapuis (orgue). Emmanuel Mandrin, directionPassé la quarantaine, Marc-Antoine Charpentier compose plusieurs pièces pour l’église du Port-Royal de Paris dont les éléments d’une Messe ici reconstituée, vers 1687. Emmanuel Mandrin implique ses troupes féminines de Saint-Cyr dans une oeuvre de piété à l’intensité directe. Il y révèle surtout l’originalité d’une Messe qui touche par ses monodies austères et l’intervention régulière de l’orgue, très présent, invité à ponctuer les prières vocales, de petits préludes et de nombreux « couplets » improvisés.
06. Michel-Richard DeLalande: Leçons de Ténèbres
07. Haendel: Airs d’opéras et cantates. Maria Bayo, soprano. Capriccio Stravagante, Skip SempéDiva baroque (mais pas seulement), la cantatrice espagnole Maria Bayo qui chantera Rosina dans le Barbier de Séville de Rossini sur la scène de l’Opéra Bastille en avril et mai 2008, charmait déjà par le cristal diamantin de sa voix, un timbre corsé dont le relief sensible s’accorde à la passion haendélienne. Deux cantates, HWV 170 et HWV 140, plusieurs airs lyriques où elle chante le vibrato sensuel et éclatant de Cleopatra du Giulio Cesare, dévoilent le tempérament latin donc spécifiquement sanguin, de la soprano colorature. Enregistré en 1999, l’album mérite sa réédition. Aux côtés de la chanteuse, le continuo de Skip Sempé articule, brosse les climats imaginés par Haendel. Superbe.
08. Haendel: Il trionfo del tempo e del disinganno. Concerto italiano, Rinaldo Alessandrini. « L’oratorio des origines » que composa le jeune Haendel, en apprentissage en Italie (Rome, 1707), alors qu’il n’avait que 22 ans, retrouve un éclat latin, cette fougue et cette sanguinité communicative qui déferlent en un torrent dramatique. Premier, prototype annonçant les Saül, Israël en Egypte, Le Messie, soit les oratorios de la maturité, ce Trionfo, version Alessandrini, convainc par sa maîtrise éclatante (vitalité des rythmes dansés) comme sa profondeur poétique: l’oeuvre est avant tout une moralité, implaccable et éloquente vanité, où Belleza apprend et accepte les vertus du renoncement.
09. Monteverdi: Livre V des madrigaux. Concerto italiano, Rinaldo AlessandriniRéalisée au début des années 1990, l’intégrale des madrigaux de Claudio Monteverdi par Alessandrini a révolutionné l’interprétation de ce répertoire jusque là laissé aux voix blanches et sans vibrato des interprètes anglais. L’articulation et la projection du texte, l’impact du verbe en fusion totale avec la note, la sensibilité des interprètes, autant chanteurs qu’acteurs, ont restitué à la langue montéverdienne son essence réformatrice, … et sa chair. En elle, coule les prémices de la musique dramatique à voce sola, le sang des passions, le murmure des déclarations, l’émerveillement des bergers dans l’Arcadie rêvée. Déjà, dans ce Livre V fondateur, et pour le compositeur et pour ses interprètes, le partage des eaux s’accomplit. La musique opère un glissement visionnaire et proprement moderne, de la prima prattica aux voix indifférenciées, au genre dramatique: Secunda Prattica où naîssent le sentiment et l’individu. Une gravure, elle aussi incontournable, d’autant que par la suite, Alessandrini perdra cette acuité expressive naturelle et incarnée… vers un intellectualisme plus européen.
10. Pergolesi: Salve Regina. Barbara Schlick, soprano. Europa Galante, Fabio BiondiBiondi des grands jours (inventif, risqué, pulsionnel) jette le voile pour révéler les Salve Regina de Pergolesi, et de Leo, deux maîtres de l’école Napolitaine à son apogée. Le timbre blessée et digne de Barbara Schlick illumine le dramatisme des hymnes à la Vierge, parties prenantes de l’Office des Complies. L’enregistrement sur le vif, capté dans le volume réverbérant de l’Abbaye de Saint-Michel en Thiérache renforce le caractère de célébration vivante du présent document.
11. Pergolesi/Scarlatti: Stabat Mater. Gemma Bertagnolli, Sara Mingardo. concerto Italiano, Rinaldo AlessandriniLa Mère douloureuse, au pied de la Croix… Le Stabat Mater de Pergolèse et de son prédécesseur à Naples, Alessandro Scarlatti, sont deux chefs-d’oeuvre absolus de la déploration baroque. En 1998, plus expressifs que jamais, sous la battue tranchée et nerveuse d’Alessandrini, solistes et instrumentistes du Concerto italiano brossent une peinture des passions, âpre, serrée, incandescente dont l’incarnation individuelle émeut jusqu’aux larmes. Certes l’école napolitaine impose en Europe son vocabulaire lyrique à toute l’Europe mais le propre de la lecture démontre que le dramatisme peut s’accorder sans glissements ni dérapages pathétiques à la pure expression fervente, doloriste et tragique. La tenue vocale, tour à tour, intense et paniquée des deux solistes, est stupéfiante.
12. Purcell: O solitude. Il Seminario Musicale, Gérard LesneGérard Lesne aime les programmes thématiques. De récents « Tristes Déserts » parus chez Zig-Zag Territoires offrent une palette colorée dans les chemins de l’opéra, a voce sola ou en trio. Nous voici projetés cinq années en arrière. Déjà, en octobre 2002, avec ses musiciens du Seminario Musicale, l’alto français explore des terres fraternelles, celles composées par Purcell, embuées par les sentiments de la déploration, du deuil, de la perte, d’une sérénité habitée par la mort omnipotente. La voix échafaude une arche lacrymale et contemplative, quand Il Seminario Musical tisse un continuo dense qui sonne comme un linceuil.
13. Domenico Scarlatti: Stabat Mater a dieci voci. Concerto Italiano, Rinaldo AlessandriniFrascati (Italie), 1999: Alessandrini nous révèle une oeuvre sacrée méconnue, celle du génie du clavecin, Domenico Scarlatti. Le Stabat Mater composé pour les chantres aguerris de la Cappella Giulia, la Missa Quatuor vocem (datable autour de 1754) imposent un maître accompli, capable d’ébouissantes prières vocales, sculptées, mordantes, d’une force fervente exceptionnelle. A la valeur unique des partitions révélées, répond l’excellence interprétative des musiciens du Concerto Italiano, lesquels retrouvent leur meilleure inspiration atteinte dans l’intégrale des madrigaux montéverdiens. Là aussi, une gravure incontournable. Mieux: l’enregistrement est avec l’album d’Antonio Florio, notre favori. A posséder d’urgence!
14. Vivaldi: Concerti e Cantate. Sara Mingardo, contralto. Concerto Italiano, Rinaldo Alessandrini
En 1996, Alessandrini trouve un juste équilibre entre opulence de la sonorité et aspérités expressives. L’ensemble du programme est traversé par un souffle et une intensité dramatique contagieuse. Les solistes, Luigi Piovano, violoncelle solo et Francesca Vicari, violon solo, dans les Concerti et l’indiscutable Sara Mingardo (alto), hallucinée, nous offrent un récital vivaldien, élégant et impétueux, alliance jubilatoire.
15. Vivaldi: Gloria, Magnificat. Concerto Italiano, Rinaldo AlessandriniEnfin, une version italienne sur instruments anciens du Gloria que Vivaldi composa pour les jeunes filles de la Piétà à Venise. En rangs serrés, solistes, choeurs (Akademia) suivent les tempis effrénés du chef qui martèle et cisèle la rage fervente d’un collectif plus engagé que jamais. Vive, nerveuse voire mitraillée parfois sêche, la lecture ne laisse pas indifférent. Pour notre part, notre préférence pour Vivaldi, penche du côté de Biondi, indétrônable révélateur des Quatres Saisons. Et par là même, visionnaire et pionnier.
Dossier réalisé avec Hugo Papbst, Tristan Montségur, Stéphanie Bataille, sous la direction d’Alexandre Pham