Compte rendu, concert, La Côte Saint André, Festival Berlioz, le 30 août 2017. Trois quatuors de Haydn, Hob III : 71, 66 & 70. London Haydn Quartet. Si les partisans du Brexit n’étaient décrits comme le plus souvent incultes et déshérités, il eut été bienvenu de leur rappeler que l’Angleterre s’est abondamment nourrie de la musique du continent, en accueillant artistes et compositeurs italiens, germaniques et français. Avant Berlioz et Mendelssohn, après Haendel et les Italiens, Haydn en est l’une des plus belles illustrations. Ainsi, le Festival Berlioz de cette année, « So British, Berlioz aux temps des expositions universelles », nous donne l’occasion d’écouter l’intégrale des quatuors londoniens de Haydn, confiée aux musiciens du London Haydn Quartet. Cer derniers, chambristes accomplis, avec 17 ans d’expérience commune, jouent sur instruments d’époque, montés en boyaux, comme il se doit.
Les trois quatuors donnés ce soir, écrits à Vienne pour Londres, datent respectivement de 1790 (premier séjour) et 1792, alors que le jeune Beethoven travaillait le contrepoint au côté de Haydn. S’il a atteint la pleine maturité, la leçon préromantique du « Sturm und Drang » l’a profondément marqué, et ces quatuors en portent encore l’empreinte, harmonique, contrapuntique et dynamique. Le concis 66ème (op.64 n°4) s’insérera entre les troisième et deuxième de l’opus 71 (respectivement Hob.III : 71 & 70). L’enchaînement tonal en est bienvenu (Mi bémol, sol et ré).
Beauté ambigüe
L’entente des musiciens est idéale et leur jeu ne manque pas de séduction. Cependant, dès les accords qui marquent le début du vivace du premier de la soirée (le 66ème), on s’interroge. L’approche est admirable, une forme d’élégance sans affectation. Le jeu apparaît très retenu, comme les contrastes, les oppositions, les accents : de beaux pastels, subtils. Rien d’autre. L’excellence du quatuor n’est pas en cause. La plénitude, l’articulation, les phrasés, une grande douceur d’émission ne manquent pas de séduire. Les tempi sont justes, les polyphonies lumineuses, les plans sonores bien dessinés dans une architecture maîtrisée. La grâce est évidente, les traits parfaitement articulés, la légèreté du jeu éblouit. Le parti pris est évident : l’approche est apollinienne, aristocratique, d’un superbe fini, au détriment de tout ce qui porte la rêverie, le sentiment, voire la passion, comme s’il y avait incompatibilité.
Le premier, l’opus 71 n°3, commence par un ample vivace dont la dynamique se renouvelle. Les variations de l’andante con moto sont l’occasion de faire chanter chacun à son tour, solistes du moment ou simples et discrets accompagnateurs avec, toujours cette élégance raffinée. L’humour y est pour le moins discret, comme la facétie du menuet, délicat, désincarné (les accents sont réduits à des touches légères), qui appelait vainement un trio plus contrasté. Le rondo final (vivace) dont l’écriture contrapuntique des couplets ne manque pas de surprendre, participe du même parti pris esthétique.
La joie sereine de l’allegro con brio initial de l’opus 64 n°4 est indéniable, mais on cherche le brio, On y apprécie les broderies du premier violon, en retrait. Rarement on a écouté une interprétation si soignée, mais pourquoi avoir traité le point d’orgue de la cadence (m.83) en oubliant cette dernière ? La dynamique du menuet est très retenue. Le trio est toujours élégant, raffiné, avec l’accompagnement en pizzicati qui lui confère sa saveur (il sera repris en bis). L’admirable adagio, avec sa partie centrale en ut m, confirme toutes les qualités signalées, la plénitude du son en plus.
Le finale, presto, est enlevé, mais avec comme constante cette beauté douce dont les ponctuations fortes des unissons contrastés sont amoindries, aux antipodes de la rusticité rauque de beaucoup. Le rondo repart de plus belle. Plaisant, léger, souple, élégant, avec entrain, certes, mais dépourvu de sa verdeur, de son mordant. Est-ce bien là l’expression juste ?
Le plus beau, le plus intéressant des trois quatuors est certainement cet opus n°2, choisi pour terminer le concert. Audacieux, original et virtuose, l’allegro initial, après une brève introduction lente suscitant un contraste accusé. Mais ici, tout est gommé, on comprend mal cette pudeur, cette retenue à réduire systématiquement les forte à des mezzo-forte. Il en va de même pour les sforzandos, à peine marqués, ce qui nous prive des accents. Les crescendos sont également écrasés. Dommage car le jeu, au plein sens du terme, est convaincant. Les mêmes qualités et les mêmes attentes insatisfaites valent pour l’adagio cantabile, d’une grande beauté mélodique, aux couleurs romantiques, avec de riches modulations. Les rythmes pointés sont assouplis, quasi ternarisés, dans le même esprit. A signaler, un cantus firmus en valeurs longues circule entre les parties du trio, du très grand Haydn. Tonique, chargé d’une énergie radieuse, le finale, de bonne humeur rayonnante passe de l’allegretto à allegro, mais où est l’ivresse ?
Pour conclure, un merveilleux London Haydn Quartet dont la maîtrise et le raffinement sont manifestes, mais dont on ne partage pas les options interprétatives.
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Compte rendu, concert, La Côte Saint André, Festival Berlioz, le 30 août 2017. Trois quatuors de Haydn, Hob III : 71, 66 & 70. London Haydn Quartet