dimanche 20 avril 2025

COMPTE-RENDU, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 28 juillet 2019. MAHLER : Symphonie n°5. Orchestre national de Lille. Alexandre Bloch, direction.

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COMPTE-RENDU, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 28 juillet 2019. MAHLER : Symphonie n°5. Orchestre national de Lille. Alexandre Bloch, direction. Le nouveau concert Mahler à l’Auditorium du Nouveau Siècle est un jalon passionnant à suivre, confirmant l’évidente affinité du chef avec l’écriture mahlérienne, comme l’éloquence collective des instrumentistes du National de Lille, en particulier après plus d’une heure de jeu… comme libérés, naturels, dans le dernier et 5è tableau : le Rondo-Finale / Allegro, marqué par l’urgence et une joie rayonnante, indéfectible. Un bel engagement qui a dû certainement ravir la petite fille du compositeur, présente ce soir : Marina Mahler. Outre son sens de la spatialité, son imagination sans limites, c’est aussi la très riche palette de timbres, la recherche constante de texture et de caractère qui fondent la modernité de Mahler au XXIè. Tout s’entend admirablement dans l’Auditorium du Nouveau Siècle sous la baguette du chef, directeur musical de l’Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch.

 

 

 

L’ONL et Alexandre Bloch jouent la 5è de Gustav Mahler…

1001 nuances de la passion mahlérienne

 

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Le premier mouvement (mesuré, sévère, funèbre) est grave ; initié par la trompette brillante, sublime appel initial, qui introduit la riche texture de la fanfare pour qu’émerge le chant à la fois tendre et douloureux des cordes ; on apprécie immédiatement l’articulation intérieure de ces dernières dont le chef cisèle et ralentit, explicite et illumine les arrières plans entre blessure rentrée et sentiment tragique. Peu à peu se précise la plainte amère et retenue d’une éternelle souffrance (assise des 8 contrebasses comme un mur de soutien, alignés au fond de la scène).
La souplesse, le sens du détail des timbres (clarinette, flûtes, cors et bassons), l’équilibre cordes, cuivres… tout est détaché, fusionné, souligné avec un sens de la mesure ; et de la morsure aussi. La marche funèbre (Trauermarsch) qui se déploie progressivement, surgit alors avec une finesse irrésistible.
A la fois gardien de la transparence et du détail, le chef veille aussi au relief des contrastes saisissants qui agitent en un mouvement panique tous les pupitres (dans les deux trios) ; l’activité est précise, et toujours, l’architecture de ce premier mouvement, parfaitement exposée ; la direction, d’une clarté constante, avec une direction nettement explicitée : de l’ombre tenace voire lugubre … à la lumière finale.
Chaque reprise se colore d’une intention renouvelée, offrant des teintes ténues entre mélancolie, adieu, renoncement, espérance. Ce premier mouvement est davantage qu’une marche : c’est une mosaïque de sensations et de nuances peints à la manière d’un tableau tragique. Ce travail sur l’articulation, la transparence de chaque phrase, intense et spécifique dans sa parure instrumentale nous paraissent les piliers d’une approche très articulée et fine, comme modelée de l’intérieur. Voilà qui instille à l’ensemble de cette arche primordiale, son épaisseur inquiète, un voile hypersensible qui capte chaque frémissement pulsionnel, et semble s’élever peu à peu jusqu’à l’ultime question que pose la flûte finale, véritable agent de l’ombre et du mystère (après la trompette presque moqueuse et provocatrice) : son chant retentit comme une énigme non élucidée. De sorte que de ce premier mouvement tout en ressentiment, Alexandre Bloch élucide l’écheveau des forces antagonistes : tout y est exposé en un équilibre sombre, irrésolu. Tout y est clair et des plus troubles. Equation double. L’intonation est parfaite.

Le second mouvement apporte les mêmes bénéfices, mais en une activité versatile proche d’un chaos aussi vif qu’intranquille. Morsures, agitation éperdue, perte de l’équilibre sourd du premier mouvement, on distingue la superbe phrase (par son onctuosité langoureuse) des bois et piz des cordes : se précise sous la prière des cordes (violoncelles) un ardent désir qui supporte tout l’édifice. L’élan se fait quête. Le chant wagnérien des violoncelles indique dans le murmure cette brûlure et cette question qui taraude tout l’orchestre (cuivres enflammés, crépitants), et dans l’interrogation posée par le compositeur, Alexandre Bloch trouve la juste réalisation : celle d’une insatisfaction d’une indicible volupté (cor anglais) à laquelle il oppose le souvenir de marches militaires qui précipite le flux orchestral en spasmes parfois jusqu’à l’écœurement. L’attention aux détails et aux couleurs, – là encore, teintes et demi teintes, le nuancier du génie Mahlérien est ici infini ; il s’affirme et se déploie sous la direction (sans baguette) du chef, très articulé, faisant surgir des éclairs et des textures – accents et climats (amertume des hautbois et clarinettes aux postures félines, animales) d’une ivresse… irrésistible. Jusqu’à l’explosion conçue comme un choral (percus et cuivres en ré majeur), lente et irrépressible élévation, aspiration verticale qui annonce une victoire finale (l’orchestration est celle de Strauss ou du Wagner de Tannhäuser et des Maîtres Chanteurs). Et là encore, la fin filigranée, dans le mystère : piz des cordes et notes aiguës de la harpe saisissent l’esprit, par leur justesse fugace. Tout est dit, rien n’est résolu.

MAHLER-gustav-symphonie-5-orchestre-national-de-lille-Alexandre-Bloch-annonce-concert-classiquenews-critique-concertMorceau de bravoure et plus long morceau du cycle, le Scherzo (ainsi que l’écrit Mahler), recycle valse et laendler. D’une insouciance osons dire « straussienne », le solo de cor (superbe soliste) ouvre le 3è mouvement; plein d’angélisme et de candeur en couleurs franches (duo de clarinettes), sur un ton détendu, élégiaque, ce chant de la nature enchante, enivre et contraste avec la couleur lugubre, saisissante des deux premiers mouvements. Pourtant Alexandre Bloch en exprime aussi le sentiment d’inquiétude qui s’immisce peu à peu et finit par déconstruire la franchise de la construction mélodique (alarme des cors)… vers l’inquiétude énigmatique qui rôde (superbe solo de cor, pavillon bouché), avant les piz des cordes tel une guitare amoureuse mais parodique : Mahler se moquerait-il de lui-même ? « vieux corps malade », pourrait-on dire,… pourtant aimant comme un ado, la belle Alma (récemment rencontrée et dont la 5è symphonie témoigne de la forte séduction dans le cœur du compositeur) ; c’est comme les Romantiques, Beethoven et Berlioz, la belle bien aimée vers laquelle s’adressent toutes ses espérances. D’où l’inclusion de la valse à peine énoncée et déjà éperdue, inquiète… c’est un rêve érotique, un étreinte évoquée juste développée… Mahler aimant manquerait-il de certitude, en proie aux vertiges du doute ?
La palette des sentiments du héros, (versatile, changeante) est un vrai défi pour l’orchestre ; dans une succession d’humeurs et d’émois contradictoires, en apparence décousus, le chef garde le fil, tel un questionnement aux enjeux profonds et intimes, aux énoncés polyvalents et constants.

Enfin c’est le grand bain d’oubli et de langueur suspendue pour cordes seules : l’Adagietto. Le 4è mouvement adoucit, résoud tout; instant de grâce et plénitude aériennes, d’un climat de volupté extatique et là aussi murmurée installé par cordes et harpe. C’est un rêve d’amour et de sensualité d’une intensité unique dans l’histoire symphonique dont Alexandre Bloch se délecte à gravir chaque échelon vers les cimes, jusqu’à la dernière phrase, suspendue. Étirée en une ample et ultime respiration, à la fois râle et renaissance. S’y déploie la mélancolie presque amère des violoncelles, surtout l’ivresse béate des hauteurs dans le chant des violons. Mahler semble y tresser des guirlandes de fleurs épanouies à l’adresse de sa promise, parfums enivrants et aussi capiteux… car l’élan passionnel n’est pas dispensé d’une certaine gravité. Cette ambivalence de ton est parfaitement assimilée par le chef, tout en retenue et… tension, désir et inquiétude.

Le dernier mouvement (5è), enchaîné immédiatement, semble déchirer le voile du rêve qui a précédé : en ce sens, l’appel du cor exprime l’éveil des amoureux, – le retour à la réalité après l’extase, là encore dans une orchestration wagnérienne (Siegfried). La direction du chef se distingue par son opulence, le caractère d’émerveillement de la musique : avant le contrepoint idéalement éclairci, articulé ; l’orchestre réalise ce dernier épisode comme une série de proclamations positives, lumineuses, sans aucune ombre et qui s’expriment à Lille, comme une irrépressible soif d’harmonie et d’équilibre, après tant de contrariétés et d’obstacles (Scherzo).

Le naturel, l’éloquence des instrumentistes dans ce dernier épisode, profitant du flux précédemment « rôdé », et qui semble couler telle une source enfin régénératrice, s’avèrent superlatifs. Mahler maîtrise les rebonds et le temps de la résolution selon le jeu des oppositions et des tensions qui ont précédé ; c’est un architecte et un dramaturge, mais aussi un formidable réalisateur à la pensée cinématographique ; après une telle direction claire, nuancée, unitaire, on reste frappé plus d’un siècle après sa conception, par le génie mahlérien. L’ultime mouvement dans la fusion chef / instrumentistes, réalise toutes nos espérances. On y détecte dans cette proclamation fuguée du triomphe, une part d’ironie critique, une saveur parodique qui sous-entend malgré tout la distance de Mahler avec son sujet. Sous la baguette mesurée d’Alexandre Bloch, ce Finale en demi-teintes, gagne une grande richesse allusive.

Palmes spéciales au 1er cor et au 1er trombone, eux aussi tout en engagement constant, en finesse réjouissante : après 1h20 de plénitude et de contrastes orchestraux, l’expérience pour les spectateurs et auditeurs à Lille demeure captivante : exalté, revigoré, l’esprit ainsi impliqué voire éprouvé mettra du temps pour redescendre. Voilà qui laisse augurer le meilleur pour les prochaines sessions du cycle Mahler par l’Orchestre National de Lille en 2019 (au total les 9 symphonies seront jouées d’ici fin 2019). Sous l’œil attentif et le soin du chef Alexandre Bloch, chaque ouvrage semble gagner comparé à la session précédente, nuances, finesse, clarté dans l’ambivalence.

Ne manquez pas le prochain rv Mahlérien à Lille, Symphonie n°6 « Tragique », les 1er et 2 octobre 2019. Événement incontournable.

Réservez votre place pour la 6è Symphonie
https://www.onlille.com/saison_19-20/concert/lodyssee-mahlerienne-continue/

 

 

 

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COMPTE-RENDU, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 28 juillet 2019. MAHLER : Symphonie n°5. Orchestre national de Lille. Alexandre Bloch, direction.

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VOIR la 5ème Symphonie de Mahler par l’ONL / Alexandre Bloch :

A revoir et à ressentir sur la chaîne YOUTUBE de l’ONL :
https://www.youtube.com/watch?v=RqzHjU5PBpI

INDEX / traclisting Symphonie n°5 de Gustav Mahler
par l’Orchestre National de Lille / Alexandre Bloch :
I. Im gemessenen Schritt / D’un pas mesuré (procession funèbre)
Stürmisch bewegt / Orageux… à 37mn42
Scherzo à 52mn09
Adagietto à 1h10mn
Rondo-Finale. Allegro à 1h22mn

 

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