COMPTE-RENDU, concert. LURE, église Saint-Martin, le 19 juillet 2019 (ouverture du 26è Festival Musique et Mémoire) : Giovanni GABRIELLI : Incoronazione a Venetia (Venise 1615). La Fenice, Jean Tubéry. LABORATOIRE VÉNITIEN… Alors que la monarchie en France cherche encore la musique de sa gloire, Venise a déjà réalisé la sienne à travers la chapelle de son Doge, incarnation vivante et théâtralisée de sa puissance sur les mers (en particulier depuis la bataille de Lépante, 1571). En peinture, les maîtres de la couleur affirment un sens inné de l’architecture et des compositions vertigineuses qui font d’ailleurs délices et splendeur du décor du palais des doges : Tintoret (et sa formidable évocation du Paradis en anneaux célestes), en attestent son souffle, sa carrure, son rythme déjà baroque de la mise en scène… Même éclat, même faste et intelligence des mouvements et de l’espace chez Giovanni Gabrielli (1557 – 1612) dont la puissante polyphonie, le sens des contrastes, le raffinements des couleurs instrumentales (cordes, cornets, trombones) semblent ici concrétiser un absolu expressif qui concentre et les recherches musicales, et le prestige du doge.
Grand défenseur de ce répertoire et de cette période où tout se joue entre Renaissance et Baroque, Jean Tubéry réunit autour de lui instrumentistes et chanteurs pour évoquer le cérémoniel du couronnement du Doge Giovanni Bembo à Venise, probablement vers 1615. Sous les coupoles de San Marco, – la chapelle du Doge, se déploie comme nulle part ailleurs, l’esthétique à la fois spatialisée et d’un grand raffinement de timbres, en rapport avec le riche décor des mosaïques d’or. Il paraît évident que Gabrielli a connu le remarquable recueil des Vêpres de la Vierge de Claudio Monteverdi (1557 – 1643), daté de 1610 : vrai laboratoire mêlant avec une rare intelligence expérimentale, styles modernes et anciens. De Giovanni à Claudio (nés la même année), rayonnent une même liberté du geste, l’amour des combinaisons nouvelles, le sens des jeux formels, une volonté inédite de renouveler et inventer les formes musicales en variant effectifs et développements.
Pour lancer le 26è Festival Musique & Mémoire, Jean Tubéry et La Fenice évoquent le couronnement du Doge Giovanni Bembo… à VENISE, à San Marco et au Palazzo Ducale…
VENISE, 1615
Le concert débute à l’orgue positif (aux très riches couleurs instrumentales) qui ponctue toute l’architecture du concert ; puis c’est le vertigineux motet concertant (Motetto concertato) pour voix et instruments de Giovanni Gabrielli : « In ecclesiis benedicte Domino », véritable cathédrale bondissante et rugissante, sensuelle et même caressante dont la prodigieuse architecture indique l’ambition de spatialisation, le souffle pictural, le sens dramatique aussi dans les longues vagues sonores qui n’en finissent pas d’étirer leur superbe ondulation. S’il ne fallait retenir qu’une pièce de Gabrielli, celle ci s’affirme sans discussion. Jean Tubéry ajoute le « Laudate Dominum » de Francesco Usper (1561 – 1641), autre formidable partition, très dramatique là encore, exclamative dont on savoure le jeu dialogué entre cuivres (profondeur et majesté des trombones) et cordes (brillance des violons). Joueur de l’instrument, le chef et créateur de La Fenice, n’omet pas la place première du cornet, dont l’aigu infini dessine l’extrémité d’un spectre sonore élargi, contrastant avec le grave spectaculaire (chtonien) des mêmes trombones, complétés par le basson.
C’est à Venise aussi que se fixent les premières formes de musique instrumentale pure : le goût des timbres associés, diversifiés, alternés s’affirment dans plusieurs pièces qui font converser dans l’esprit d’un chambrisme qui se façonne alors, cornets, violons, cuivres amples et articulés.
Le collectif, instrumentistes et chanteurs, s’enivre et joue la surenchère en un festival de couleurs et de nuances dont le but ultime cherche à fusionner majesté et sensualité, élégance et expressivité. A l’égal des peintres qui ont marqué d’un âge d’or le siècle précédent à Venise, les musiciens s’offrent et affirment la même maestrià, dans l’opulence, la couleur, une suavité nouvelle qui fait bien de la Cité lacustre, en ce début du XVIIè (Seicento), le premier laboratoire artistique d’Europe. Inspiré par son sujet, pilotant les effectifs de la Fenice auxquels se joignent deux jeunes instrumentistes locaux pour le dernier épisode (« Jubilate Deo Omnis terra », particulièrement festif), Jean Tubéry illustre idéalement son sujet : le couronnement du Doge, à San Marco puis au Palais ducal (Palazzo Ducale) ; il en ressuscite l’énergie impétueuse, la riche palette sonore, l’ampleur et les étagements vertigineux. Pour inaugurer, le 26è festival Musique et Mémoire, on ne pouvait rêver meilleure arche à la fois majestueuse et raffinée, sacrée et profane, incarnée, dramatique et spirituelle.
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COMPTE-RENDU, concert. LURE, église Saint-Martin, le 19 juillet 2019 (26ème Festival MUSIQUE ET MÉMOIRE) : Giovanni GABRIELLI : Incoronazione a Venetia (Venise 1615). La Fenice, Jean Tubéry