En ce troisième jour de notre parcours à Saint-Céré, la pluie s’est invitée à la fête, obligeant ainsi les responsables du festival à replier vers la Halle des sports le concert prévu au château de Castelnau Bretenoux. Au programme de ce samedi soir, la Passion selon Saint Jean de Johann Sebastian Bach (1685-1750); l’oeuvre baroque marque le retour au festival de Saint Céré du grand oratorio. Créée en 1724, la Passion selon Saint-Jean est une oeuvre maintes fois reprise et adaptée par Bach. Pour « compenser » certaines faiblesses du texte de l’évangile selon St Jean, peu développé sur quelques points, notamment sur les pleurs de Pierre après qu’il ait par trois fois renié le Christ (« lorsque le coq chantera par trois fois, tu m’auras renié ») et la description du tremblement de terre, Bach a puisé selon ses besoins dramatiques dans l’Evangile selon Saint-Mathieu. Pour marquer l’occasion le chef Anass Ismat s’est adressé à l’évangéliste par excellence : Christophe Einhorn. Le ténor alsacien, bien qu’il ait un répertoire assez large, est un grand spécialiste de l’oeuvre de Bach et il l’a démontré une nouvelle fois ce samedi soir.
Amateurs encadrés et solistes défendent le drame sacré de Bach
La Passion selon Saint Jean : le retour du grand oratorio à Saint Céré
Depuis de longues années, le festival de Saint-Céré permet à des amateurs chevronnés de venir se perfectionner lors de sessions intensives de stage. En 2014, ils avaient chanté le Requiem de Mozart avec un certain bonheur ; pour l’édition 2015, ils ont abordé l’un des monuments de la musique baroque, cette Passion selon Saint-Jean de Bach, avec un certain panache. Le début de soirée est d’abord compliqué du côté des sopranos très tendues et parfois à peine audibles, surtout dans les aigus, mais en cours de performance, il nous faut bien admettre qu’ils ont donné de très belles choses à entendre. La diction est excellente, les voix bien préparées et globalement le travail avec le chef Anass Ismat et Jean-Blaise Roch, leur chef de choeur et professeur de chant, a donné un résultat remarquable. Côté solistes, grandes satisfactions et impressions plus mitigées se précisent. Ainsi le jeune ténor Laurent Galabru, que nous avions apprécié en 2014 dans Le voyage sur la lune, déçoit quelque peu; la diction est excellente, mais musicalement sa prestation est trop tendue et il est à la peine dans les aigus dans ses deux arias ayant même parfois du mal à aller au bout de ses phrases. De même la mezzo soprano, Eva Gruber a bien du mal à convaincre; ses deux arias sont assez monocordes et plutôt lisses. En revanche, les voix graves séduisent au delà de toute attente; Marc Labonette (Jésus) et Paul Henri Vila (Ponce Pilate) affirment une belle assurance; les voix sont rondes, chaleureuses, larges; elles couvrent sans peine la tessiture des arias qui leur sont dévolus (même si, malheureusement Vila n’en n’a eu qu’un seul à chanter). La soprano Anaïs Constans séduit également; sa diction est claire nette, précise et ses deux interventions sont sobres. Quant à Christophe Einhorn, il campe un évangéliste remarquable. Le charismatique ténor strasbourgeois impose un rythme dynamique, vif qui ne relâche jamais la tension. Il passe d’un moment de violence intense à un moment de tendresse (de Jésus mourant envers sa mère par exemple) ou de douleur sans que quiconque s’aperçoive de quoi que ce soit tant il y met de subtilité. Samedi soir, c’est le chef d’origine marocaine Anass Ismat qui dirige l’orchestre Opéra Éclaté. Les musiciens qui ont trois chefs différents (Dominique Trottein pour Falstaff et Jérôme Pillement pour La Périchole, complètent le « trio ») s’adaptent avec un professionnalisme rare à la battue du jeune maestro. Anass Ismat dirige d’une main ferme un orchestre curieux et disponible intégrant aussi l’organiste Marcello Gianini.
Le choeur des stagiaires du festival de Saint-Céré ont affronté crânement une partition particulièrement difficile. Dommage qu’aux côtés d’un telle investissement défendu par les « amateurs », certes encadrés, le quintette de solistes ne soit pas aussi cohérent que nous l’attendions, l’évangéliste étant un rôle à part. Malgré tout son talent, Laurent Galabru nous a semblé vraiment trop jeune pour chanter cette Passion vocalement redoutable; et une mezzo plus charismatique aurait également été bienvenue. Néanmoins le travail d’ensemble, artistique et pédagogique, est, globalement, très satisfaisant.
Compte rendu, concert. Saint-Céré. La Halle des sports, le 8 août 2015. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Passion selon Saint Jean. Christophe Einhorn, l’évangéliste; Marc Labonette, Jésus; Paul Henri Vila, Ponce Pilate; Benjamin Villain, Pierre; Anaïs Constans, soprano, Eva Gruber, mezzo soprano; Laurent Galabru, ténor; Marcello Gianini, orgue; Orchestre Opéra Éclaté; choeur du stage de chant choral; Anass Ismat, direction.