Depuis 2005, la très chic station alpine de Zermatt, située au pied du majestueux Mont-Cervin, propose un festival de musique classique mi-septembre (cette année du 11 au 20 septembre 2015) dans différentes églises du village et de ses environs (plus un concert décentralisé à Martigny). Certes moins connu que le festival voisin de Verbier (à la programmation plus prestigieuse), celui de la cité valaisanne n’en invite pas moins des artistes de renommée internationale (Christian Zacharias, Stefan Genz ou Michel Dalberto cette année), tout en servant de tremplin à de jeunes artistes en devenir. Elle est aussi la base arrière du Scharoun Ensemble Berlin, formation composée de solistes du Philharmonique de Berlin qui, outre des concerts, animent une académie et enseignent leur savoir à de jeunes musiciens issus de conservatoires du monde entier (et qui forment le Zermatt Festival Orchestra).
Le week-end d’ouverture permet de faire jouer ensemble le Scharoun Ensemble et le Zermatt Festival Orchestra, placés sous la baguette de Christian Zacharias. Le premier concert débute par le Concerto pour piano N°25 de Mozart qu’interprète Zacharias lui-même. Avec son toucher tout en délicatesse, l’allemand fait ressortir de la musique du divin Wolgang toute sa quintessence spirituelle et poétique. Même aux moments les plus calmes et les plus insouciants, le piano de Zacharias semble révéler une sorte de fragilité secrète, un doute. La grâce et la bonne humeur des échanges entre le pianiste et son orchestre sont par ailleurs un régal pour les oreilles. C’est ensuite la voix de Regula Mühlemann qui les caresse, avec trois airs composés par Mozart. La soprano suisse possède un timbre frais et juvénile, en même temps que lumineux. Son abattage est stupéfiant d’aisance et de vivacité : la netteté et la facilité des vocalises, l’agilité et la souplesse des notes piquées, la qualité des suraigus laissent pantois, notamment dans l’air de concert « Ch’io mi scordi di te ».
Le programme se poursuit avec la fameuse Symphonie inachevée de Schubert, dans laquelle le chant des contrebasses et des violoncelles retient positivement l’attention, tandis que le hautbois et la clarinette s’épanouissent dans un fondu de grande beauté. Bien qu’on aurait souhaité plus de tension dans le premier mouvement, la direction de Zacharias est efficace, et il fait en sorte que la fin du deuxième mouvement laisse l’auditeur dans l’indéfini, l’incomplet, l’éternel. Malgré de nombreux rappels, le public n’obtiendra pas de bis…
Le lendemain, on retrouve le chef et ses deux formations pour une exécution de la fameuse Symphonie Pastorale de Beethoven. Le premier mouvement est bondissant et étincelant, d’une clarté de ligne remarquable, qui permet d’entendre une palette d’effets et de nuances très large, ainsi que la suprématie d’un lumineux pupitre de premiers violons qui sont les inspirateurs de tout l’orchestre. L’Andante est phrasé avec une douceur extrême, offrant un admirable moment de contemplation calme et poétique. On revient ensuite à des impressions plus terrestres avec un troisième mouvement enjoué et allègre, dont le léger déhanchement évoque l’enivrement des danseurs après avoir bu quelques rasades de Fendant (le plus célèbre cépage suisse! ). L’orage est le moment le plus mémorable de la symphonie : l’atmosphère est chargé d’électricité, le timbalier est en pleine forme, énergique à souhait, et la tension ne se relâche que lorsque les nuages s’éloignent, pour un dernier mouvement tonique, acmé d’une joie simple et naturelle.
L’ouvrage beethovénien est couplé avec le Quintette avec piano de Brahms, sommet de la musique de chambre, maintes fois remanié par le compositeur, qui en avait d’abord fait un quintette avec deux violoncelles, puis une sonate pour deux pianos, avant de lui imprimer sa forme définitive. On y entend l’omniprésent Christian Zacharias entouré de quatre instrumentistes du Scharoun Ensemble, et dès le premier mouvement, le pari est gagné. L’Allegro non troppo captive dès les premières mesures du thème d’exposition, tandis que sa reprise fortissimo submerge l’auditeur. Les cordes sont naturellement très présentes, mais savent maintenir sa place au piano. Après le relatif temps mort que constitue l’Andante, le Scherzo vient redonner beaucoup de vie à l’ensemble, où Zacharias se distingue par une articulation exemplaire. Bien que le piano soit plus discret dans ce troisième mouvement, on prend grand plaisir à suivre son allure si déliée. Quant auFinale, il offre une résolution à l’avantage de tous en concluant brillamment le suprême épilogue… et on n’a pas vu passé les quarante minutes !
Jusqu’au 20 septembre, bien d’autres bonheurs et découvertes musicales attendent les mélomanes au Zermatt Music Festival… dans un cadre majestueux et à nul autre pareil.
Compte-rendu, concert. Zermatt, Eglise Saint Maurice. Les 11 & 12 septembre 2015. Mozart : Concerto pour piano et orchestre n°25 en do majeur KV 503. Mozart : Trois airs ; Schubert :Symphonie n°8 en si mineur D 759 dite « Symphonie Inachevée ». Brahms : Quintette avec piano en fa mineur op. 34. Beethoven : Symphonie n°6 en fa majeur op. 68 « Pastorale ». Scharoun Ensemble Berlin, Zermatt Festival Orchestra, Regula Mühlemann (soprano), Christian Zacharias (piano et direction).