mercredi 23 avril 2025

Compte-rendu critique, opéra. POTSDAM, Orangerie, le 21 juin 2018. CAMPRA, L’Europe galante, Les Folies françoises, Cohën-Akenine

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Compte-rendu critique, opéra. POTSDAM, Orangerie, le 21 juin 2018. André CAMPRA, L’Europe galante, Les Folies françoises, Patrick Cohën-Akenine. Chef d’œuvre inaugural du genre de l’opéra-ballet, L’Europe galante avait connu une seconde jeunesse en 1997 (trois siècles après sa création) grâce à Minkowski, puis en version scénique avec Christie et la jeune phalange d’Ambronay. La production de Postdam est la première donnée en terre allemande. Des trouvailles ingénieuses dans la mise en scène et un casting très prometteur, mais finalement inégal.

 
 
 

L’Europe migrante

 
 
 
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Eugénie Lefebvre (Doris, Olympia, Balldame, une Espagnole, Roxane) /
Douglas Williams (Sylvandre, Zuliman)

 
 
 
 

Sur la scène de l’Orangerie (le superbe théâtre baroque du Neues Palais n’ouvrira qu’en 2020), on s’affaire pour présenter le premier opéra-ballet de l’histoire ; des personnages en costume tapent sur des machines à écrire la musique qu’ils vont distribuer aux interprètes. Le point de vue distancié du métathéâtre est plutôt bienvenu dans cette œuvre qui ne brille pas par la complexité de son intrigue. Les cloches qui se font entendre dans le prologue – symbolisant le bruit des forges – se confondent avec bonheur avec le bruit des machines à écrire, tandis que les danses baroques mêlent une fidélité esthétique à des atours modernes. Les vagues sont illustrées par des sacs en plastiques que l’on agite, clin d’œil à la situation actuelle du continent moins réjouissante qu’à l’époque des Lumières où l’Europe se voulait et se disait être galante ? La mise en scène abonde en trouvailles ingénieuses : le mât de cocagne qui évoque les danses de l’époque (clin d’œil à la scène des matelots de l’Alcyone de Marin Marais ?) les grands post-it multicolores qui façonnent le costume d’Arlequin ; le costume-puzzle de l’Espagnole dont les pièces sont tenues par des danseurs, tandis que l’un d’eux lui tient la noire mantille ; le tapis turc de la dernière entrée dans lequel le personnage de Bostangi s’introduit en donnant l’impression qu’il y est assis grâce à de fausses jambes croisées. On a beaucoup apprécié l’acte espagnol, sans doute le plus réussi visuellement, avec son atmosphère nocturne particulièrement suggestive, ses jeux d’ombre et des tempi moins rapides que chez Minkowski, ce qui permet de gagner en solennité et en noblesse.

La distribution, sur le papier très prometteuse, s’est finalement révélée en partie décevante. La voix lumineuse de Clément Debieuvre séduit au premier abord, mais pèche par une projection un peu nasillarde, tandis que le ténor d’Aaron Sheehan peine à soigner sa diction : dans les passages plus véhéments, on ne comprend pas tout et, comble du paradoxe, on doit recourir aux surtitres en allemand ! La voix est poussive, et quelle faute de goût quand, dans le récit final de la seconde entrée, aussi dramatique que dans celui d’Idoménée, la note finale est longuement tenue, là où elle doit être simplement et brièvement chantée. Les qualités de Chantal Santon Jefferey et d’Eugénie Lefèbvre ne sont plus à démontrer : timbre chaleureux, voix volumineuse et diction excellente (le récit de dépit de Doris est un modèle de déclamation rhétorique), mais on regrettera un chant parfois trop fortement appuyé, notamment dans les récits, qui nuit justement à la clarté de l’élocution ; à l’inverse l’interprétation est en deçà de ce qu’exige le texte – comme dans l’air de dépit en italien, « Ad un cuore tutto geloso », qui manquait de fougue : la frontière entre le récit et l’air est souvent ténue dans cette œuvre d’une musicalité extrême. Les voix graves sont en revanche remarquables ; malgré une légère indisposition, la Discorde de Philippe-Nicolas Martin remplit parfaitement son rôle, avec une crédibilité réjouissante. Plus impressionnant encore la voix sombre et charnue de Douglas Williams qui allie une présence scénique roborative à une déclamation sans faille, toujours au service du texte ; mêmes qualités chez Lisandro Abadie, magistral de bout en bout, un véritable modèle à suivre. La voix est posée, parfaitement projetée, d’une clarté sculpturale, qui fait regretter les quelques faiblesses des autres interprètes.
On saluera la performance magnifique des danseurs et du chœur, toujours justes, tandis que les troupes des Folies françoises manquent de mordant et de fluidité (les couacs répétés des hautbois), mais rattrapent le coup dans les danses, beaucoup plus inspirées. Au final un spectacle visuellement assez réjouissant, mais vocalement inégal.

 

 
   

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Compte-rendu. Potsdam, Festspiele, Orangerie, André Campra, 21 juin 2018.  Chantal Santon Jeffery (Vénus, Céphise, un masque, Zaïde), Eugénie Lefebvre (Doris, Olympia, Balldame, une Espagnole, Roxane), Aaron Sheehan (Octavio, Don Pedro), Clément Debieuvre (Philène, un marin, un Italien, un Espagnol), Philippe-Nicolas Martin (la Discorde), Douglas Williams (Sylvandre, Zuliman), Lisandro Abadie (Don Carlos, Bostangi), Vincent Tavernier (mise en scène), Claire Niquet (décors), Érick Plaza Cochet (costumes), Carlos Perez (lumières), Karine Locatelli (Chef des chœurs), Orchestre de l’opéra de Lyon, danseurs et du chœur du Cmbv, Patrick Cohën-Akenine (direction).

 
  
 

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