Compte-rendu critique, opéra. Saint-Etienne. Grand Théâtre Massenet, le 4 mars 2018. Rossini : Semiramide. Karine Deshayes, Aude Extrémo, Daniele Antonangeli, Manuel Nuñez Camelino. Giuseppe Grazioli, direction musicale. Nicola Raab, mise en scène. Après Nancy, c’est en terres stéphanoises qu’il faut aller pour revoir la Semiramide de Rossini, l’Opéra de Saint-Etienne étant coproducteur du spectacle imaginé par Nicola Raab. La mise en scène de la scénographe allemande s’inspire toujours de l’opéra baroque, auquel l’ouvrage rend audiblement hommage, mais sans les fastes qu’on pouvait espérer de la Babylone qui sert de décor au drame. Sur le plateau du Grand Théâtre Massenet, plus vaste que celui de la place Stanislas, le dépouillement des décors apparaît plus cruellement, instaurant une distance entre les personnages qui nuit parfois à la tension dramatique. Les costumes, néanmoins très beaux, contribuent toujours à ce climat presque versaillais, mais corsettent toujours un peu les figures théâtrales, empêchant la démesure suggérée par la partition.
Musicalement, en revanche, beaucoup de motifs de satisfaction. Tonnant superbement, Nika Guliashvili donne un relief saisissant à sa seule intervention vocale en Ombre de Nino. Mitrane sonore, engagé et sachant s’imposer en quelques phrases, Camille Tresmontant augure du meilleur pour la suite de sa carrière. Effacée par la mise en scène, Azema trouve néanmoins en Jennifer Michel une interprète de choix grâce à un instrument puissant et ambré qui donne envie, après moult emplois de seconds plans dans de nombreuses maisons de l’Hexagone, de l’entendre dans un rôle plus important. Imperturbable et imposant, l’Oroe de Thomas Dear ouvre le spectacle en imposant le respect.
Dans le rôle vraiment épisodique d’Idreno, Manuel Nuñez Camelino affronte de son mieux une écriture impossible et compose un personnage un peu ridicule mais néanmoins attachant.
Karine Deshayes, reine de Babylone
Assur au cœur tendre, la basse italienne Daniele Antonangeli propose de cette figure éminemment haïssable un portrait moins monolithique qu’à l’ordinaire. Beau timbre, vocalises aisées et aigus bien accrochés, ne manque à ce bel artiste qu’un rien de graves, de mordant et de projection en plus pour s’imposer durablement dans ce répertoire. Sa grande scène du II est ainsi un beau moment de sincérité musicale et humaine.
Par rapport à Nancy, nous retrouvons une voix de femme pour incarner Arsace, et c’est un vrai bonheur. Aude Extrémo se lance dans la bataille avec une énergie flamboyante, quitte à écraser certains graves et à pousser un rien trop certains aigus. Mais qu’il est bon de voir une artiste prendre des risques et faire passer un frisson durant les reprises de ses airs à force de variations audacieuses.
Malgré une émission selon nous parfois peu orthodoxe, la mezzo française fait étalage de son timbre splendide, de sa puissance vocale qui remplit sans effort toute la salle ainsi que de son agilité superbement contrôlée, qualités toujours au service de la musique et de l’incarnation dramatique. Bravo.
L’évènement de cette production était bien entendu la prise de rôle de Karine Deshayes, toujours plus décidée à affronter le répertoire de soprano, pour nous une idée merveilleuse. Et c’est une réussite de plus à porter à son actif, après l’Armida rossinienne, Alceste de Gluck et Elvira dans les Puritains belliniens.
Si la longueur de la tessiture exigée par le rôle lui demande une certaine prudence dans la gestion des registres, la maîtrise de l’écriture est totale. Vocalises redoutables de précision, aigus déconcertants de facilité et musicalité toujours évidente font de son « Bel raggio lusinghier » un très beau moment. Mais c’est dans le second acte que la tragédienne s’unit à la technicienne pour toucher à l’émotion vraie, notamment dans son amour double pour Arsace et lors des retrouvailles entre mère et fils. Leurs duos sont ainsi des instants magiques grâce à une complicité musicale rare. Chapeau, donc, pour ce nouveau défi relevé avec brio. A quand le prochain ?
Fidèle à son habitude, le chœur maison se révèle irréprochable d’homogénéité et de précision.
A la tête d’un orchestre grande forme, Giuseppe Grazioli tire le meilleur de cette musique enivrante, osant le brillant sans pompe déplacée et sachant conduire le drame sans jamais sacrifier la virtuosité.
Et c’est un public captivé qui, après presque trois heures de musique, ovationne chaleureusement tout le plateau, heureux d’avoir pu déguster ce chef d’œuvre du Cygne de Pesaro.
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COMPTE RENDU, OPERA. Saint-Etienne. Grand Théâtre Massenet, 4 mars 2018. Gioachino Rossini : Semiramide . Livret de Gaetano Rossi d’après Voltaire. Avec Semiramide : Karine Deshayes ; Arsace : Aude Extrémo ; Assur : Daniele Antonangeli ; Idreno : Manuel Nuñez Camelino ; Oroe : Thomas Dear ; Azema : Jennifer Michel ; Mitrane : Camille Tresmontant ; L’Ombre de Nino : Nika Guliashvili. Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire ; Chef de chœur : Laurent Touche. Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire. Direction musicale : Giuseppe Grazoli. Mise en scène : Nicola Raab ; Décors : Madeleine Boyd ; Costumes : Julia Müer ; Lumières : Bernd Purkrabek. Illustration : Maude Extrémo / Karine Deshayes (DR)