dimanche 11 mai 2025

Compte-rendu, Opéra. Barcelone, Liceu, le 30 janvier,1er février 2016. Verdi : Otello. Carl Tanner, Philippe Auguin.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Vague verdienne en juin 2014Provenant de la Deutsche Oper de Berlin, la production d’Otello signée par Andreas Kriegenburg – actuellement à l’affiche au Liceu de Barcelone – est un beau ratage auquel l’institution catalane ne nous a guère habitué jusqu’à présent. Le metteur en scène allemand semble en effet se moquer complètement du drame de Shakespeare (et du livret d’Arrigo Boito), lui préférant notre actualité la plus brûlante, celle des réfugiés affluant en Europe, ici parqués dans une structure métallique montant jusqu’aux cintres, aussi peu pratique qu’inesthétique. Les protagonistes passent ici au second plan, ce qui est une totale hérésie. Passons vite…
Contre toute attente aussi – même si ce n’est finalement pas si inhabituel au Liceu – c’est la seconde distribution qui nous aura le plus enthousiasmée, alors que la première affichait rien moins que José Cura (avec une voix qui a désormais perdu toute puissance et brillance) et Ermonela Jaho (dont le timbre sonnait étonnamment métallique le soir où nous l’avons entendue…).
Cette seconde distribution, en alternance, mettait à l’affiche, dans le rôle-titre, le ténor américain Carl Tanner qui possède véritablement une voix capable de rendre justice au personnage d’Otello : sombre, chaleureuse, sûre, arrogante dans l’aigu et robuste dans le médium, avec une diction et une tenue musicale par ailleurs probantes. Scéniquement, il campe un Otello aux abois, écorché vif, incapable de se maîtriser, dont il parvient à exprimer les tourments, notamment dans un bouleversant « Dio ! Mi potevi scagliar » et un non moins émouvant « Niun mi tema ».
De son côté, la soprano mexicaine Maria Katzarava prête à Desdémone son timbre dense et riche, sensuel et lumineux, qui convient parfaitement à l’épouse du Maure, et qui fait merveille dans le premier duo « Già nella notte densa », qu’elle délivre avec d’infinies nuances. On mettra également à son crédit des phrasés magnifiquement différenciés, des piani de toute beauté, un « air du saule » – puis un « Ave Maria » – à vous tirer les larmes.
Iago très intériorisé, d’une noirceur qui sourd de chacun de ses gestes, le baryton italien Ivan Inverardi incarne de saisissante façon cette figure shakespearienne, incarnation même du Mal. Très homogène et remarquablement puissante, sa voix impressionne par sa noirceur et son mordant, notamment dans le fameux « Credo », à faire froid dans le dos. On admire également chez l’artiste sa maîtrise du mot, qui flatte l’oreille dans son récit du rêve de Cassio. Ce dernier rôle est tenu par le jeune ténor sibérien Alexey Dolgov à la belle prestance et à la voix claire mais bien projetée. Quant aux voix de la basse moldave Roman Ialcic et du baryton andalou Damiàn del Castillo, elles permettent aux personnages de Lodovico et de Montano de se profiler comme d’authentiques ressorts de l’intrigue. Quant à Vicenç Esteve Madrid, il campe un Roderigo convaincant tandis qu’Olesya Petrova écorche l’oreille des auditeurs avec un timbre déjà usé (l’artiste est pourtant jeune).

A la tête d’un orchestre « maison » superbement sonnant, le chef français Philippe Auguin – directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Nice – dirige un Verdi sanguin, âpre, peu enclin à l’introspection: l’accompagnement soulignant les coups de théâtre et dépeignant les conflits psychologiques avec une luxuriance sonore absolument jouissive. Enfin, le Chœur du Gran Teatre del Liceu – admirablement préparé par Conxita Garcia – fait montre d’une virtuosité impressionnante, qui lui permet d’aborder notamment le long finale du troisième acte sans baisse rythmique.

Compte-rendu, Opéra. Barcelone, Gran Teatre del Liceu, le 30 janvier (et 1er février) 2016. Verdi : Otello. Avec Carl Tanner (Otello), Maria Katzarava (Desdemona), Ivan Inverardi (Iago), Alexey Dolgov (Cassio), Vicenç Esteve Madrid (Roderigo), Roman Ialcic (Lodovico), Damiàn del Castillo (Montano), Olesya Petrova (Emilia). Andreas Kriegenburg (mise en scène). Philippe Auguin (direction musicale).

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