Le Barbier de Séville de Gioacchino Rossini est l’un des opéras qui n’a jamais quitté le répertoire mondial depuis sa création à Rome en 1816. L’opéra bouffe par excellence, selon nul autre que Verdi, est aussi un bijou de belcanto du début du XIXe siècle. Outre les nombreux usages commerciaux et populaires actuels de plusieurs morceaux de l’oeuvre, notamment l’archi-célèbre ouverture ou encore le non moins célèbre air de Figaro « Largo al factotum », l’opéra assure son attractivité populaire dans l’histoire de la musique par sa verve comique indéniable, la fraîcheur de l’invention mélodique et le théâtre d’archétypes si bien ciselé et si cohérent des plumes combinées, celles complémentaires de Rossini et de son librettiste Cesare Sterbini, d’après Beaumarchais.
(NDLR : la séduction et le succès de l’ouvrage devraient encore gagner un cran à l’approche du bicentenaire de la création de l’opéra, comme en témoigne pour la saison 2015-2016, la prochaine nouvelle production annoncée par le Centre lyrique de Clermont Auvergne dont le fameux Concours 2015 qui se tenait du 17 au 21 février derniers cherchait à distribuer les rôles de Rosina, Figaro et Basilio…)
La création Lilloise en 2013 de cette production du Barbier (lire notre compte rendu du Barbier de Séville de Rossini présenté en mai 2013 à l’Opéra de Lille), a été un succès médiatique et populaire. Nous avons encore le souvenir d’un public de tous âges et couleurs confondus très fortement marqué par les talents particuliers de Jean-François Sivadier et de son équipe artistique, exprimés avec candeur et sensibilité par la performance de la jeune distribution des chanteurs-acteurs particulièrement engagés. Le spectacle repris cette saison a fait une tournée française dans les villes de Limoges, Caen, Reims et donc Dijon, dernier arrêt d’un train artistique qui n’a pas été sans péripéties. Pour cette première dijonnaise, nous sommes accueillis à l’Auditorium de l’Opéra de Dijon, un bâtiment gargantuesque dont l’une des particularités reste son excellente acoustique.
Un barbier pas comme les autres
La redécouverte de la production en cette fin d’hiver 2014-201, s’avère pleine d’agréables surprises, mais pas dénuée réserves. Le baryton Armando Noguera en Figaro, créateur du rôle en 2013, et qui était déjà à l’époque un fin connaisseur du personnage, l’ayant interprété depuis son très jeune âge dans son Argentine natale, est annoncé souffrant avant le début de la représentation. Il décide néanmoins d’assurer la performance en dépit de son état de santé. Les oreilles affûtées ont pu remarquer ici et là quelques baisses de régime et de tension, quelques faiblesses mais la prestation si riche, si pleine d’esprit impressionne globalement l’auditoire ; le brio du chanteur a paru inépuisable et personne n’y est jamais rester insensible. Un excellent comédien dont le rôle si charismatique de Figaro lui sied parfaitement, il assure aussi la bravoure musicale de la partition plutôt virtuose. Un maître interprète que la maladie paraît porter et inspirer davantage encore, se donnant sur scène, comme tout grand artiste.
Le jeune ténor américain Taylor Stayton reprend le rôle d’Almaviva. Nous emarquons d’abord une impressionnante évolution dans son jeu scénique. S’il fut un Almaviva rayonnant de tendresse en 2013 (prise de rôle !), en 2015, il a l’assurance d’un artiste mûr qui commence à avoir une belle carrière de belcantiste. Son charme personnel s’accorde très bien au charme de la musique que Rossini a composé pour le personnage. Également excellent comédien, il est tout a fait crédible en jeune conte amoureux, et si les aigus ne sont pas toujours propres, le timbre est d’une incroyable beauté
et sa prestation demeure tout à fait enchanteresse.
La soprano Eduarda Melo reprend le rôle de Rosina. En 2013, nous avions exprimé notre curiosité par rapport au choix d’une soprano et non d’une mezzo pour Rosina, pourtant la performance avait été convaincante. En 2015, elle aussi fait preuve d’une évolution surprenante au niveau scénique et musicale. Une Rosina très à l’aise avec son langage corporel, aussi engageante et engagée que ses partenaires, Noguera et Stayton, elle régale l’auditoire avec un mélange précieux d’émotion et légèreté. Elle est piquante et touchante à souhait. Que ce soit dans l’expression du désir amoureux non dépourvu de nervosité lors de son air du IIème acte : « L’Inutile preccauzione », où ses vocalises redoutables sont chargées d’une profonde et tendre sincérité, inspirant des frissons, ou encore lors du trio à la fin du même acte où le désir arrive au paroxysme… Le célèbre air du Ier acte : « Una voce poco fa » à son tour, est l’occasion pour la soprano de démontrer ses belles qualités d’actrice comme de musicienne.
Le Bartolo de Tiziano Bracci comme ce fut le cas avant est un sommet comique en cette soirée d’hiver. Ses petits gestes affectés, ses échanges hasardeux et drôles avec le chef d’orchestre, le public, voire avec lui-même, lui donnent un je ne sais quoi de touchant pour un personnage qui est souvent représenté comme un gros méchant. La basse bulgare Deyan Vatchkov est aussi l’une des très agréables surprises de cette reprise. Il intègre la production pour la première fois dans le rôle de Basilio. Nous sommes davantage impressionnés par l’aisance avec laquelle il habite le personnage et accorde ses talents de chanteur-acteur au théâtre si distinctif et précis de Sivadier ; un jeu qui se met au service ultime de Rossini. Il campe l’air de la calomnie au Ier acte avec panache et facilité ; c’est le véritable protagoniste du quintette au IIème acte. Nous regrettons qu’il ne soit plus présent sur scène tellement sa présence comique et musicale est ravissante. La soprano Jennifer Rhys-Davis reprend le rôle de Berta et y excelle ; sa performance est touchante et drôle. Remarquons également la participation du comédien engagé Luc-Emmanuel Betton dans le rôle muet d’Ambrogio, très sollicité sur scène pour différentes raisons apparentes. Sa présence se distingue par sa réactivité et un je ne sais quoi de tendre et aussi de déjanté (ma non troppo!) saisissant.
Si le choeur de l’Opéra de Dijon reste mou, l’Orchestre Dijon Bourgogne sous la direction d’Antonino Fogliani captive totalement. La baguette est enjouée, douée d’un entrain rossinien extraordinaire ! Ainsi l’ouverture et le finale primo passent comme un éclair aux effets impressionnants. Nous regrettons néanmoins à des moments précis que le tempo aille si vite puisque les vocalises fabuleuses des chanteurs perdent beaucoup en distinction. Un Barbier pas comme les autres donc, avec un élan théâtral et comique d’une efficacité confondante. Toutes les vertus de la méthode Sivadier mises à disposition d’une jolie troupe des chanteurs et musiciens, font honneur au cygne de Pesaro et à son Barbier, dont nous célébrerons les 200 ans l’année prochaine ! Un Barbier pas comme les autres à consommer sans modération, à l’affiche à l’Opéra de Dijon les 20, 22, 24 et 26 février 2015.
Illustrations : Portrait de Rossini ; la production du Barbier de Séville de Rossini en 2013 ; Jean-François Sivadier (DR)