jeudi 24 avril 2025

COMPTE-RENDU, opéra. LIMOGES, Opéra, le 27 janv 2019. KORNGOLD : Die tote Stadt (La Ville morte). Baleff / Anglade.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

COMPTE-RENDU, opéra. LIMOGES, Opéra, le 27 janv 2019. KORNGOLD : Die tote Stadt (La Ville morte). Baleff / Anglade. Enfant  prodige, né à Bratislava en 1897, Erich Wolfgang Korngold devait disparaître en 1957 à Hollywood, à peine âgé de soixante ans. Fuyant les persécutions nazies, il s’était installé dans la capitale du cinéma en 1934, y gagnant une solide réputation de compositeur de musiques de films – Captain Blood avec Errol Flynn reste l’une de ses compositions les plus célèbres -, décrochant même un oscar. Cette deuxième partie de carrière ne saurait pourtant faire oublier la première, de musicien « sérieux », couronnée par la création, le 4 décembre 1920, le même soir à Hambourg et à Cologne, de Die tote Stadt (La Ville morte), son plus grand succès dans l’univers lyrique.

 

 

 

La nouvelle production
enthousiasmante de Sandrine Anglade

 

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Signé Paul Schott, mais en réalité de la main de Korngold lui-même, aidé de son père, le livret s’inspire du bref roman de l’écrivain belge Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, où l’on retrouve le climat morbide d’Edgar Poe et de Maurice Maeterlinck. Comme Venise ou Leipzig, Bruges devient le symbole du style gothico-médieval décadent, qui fera la fortune de l’Art Nouveau : le long de ses lugubres canaux, de ses ruelles encombrées de masques et de processions religieuses, Paul, le héros de l’histoire, vit un véritable cauchemar qui le conduit à imaginer, sous les traits de la ballerine Marietta, ceux de Marie, son épouse récemment décédée. Dans son rêve, il finira d’ailleurs par étrangler la danseuse avec la tresse de cheveux de la défunte !
Tandis que le Théâtre du Capitole de Toulouse a remonté une production de l’Opéra national de Lorraine, en début de saison, l’Opéra de Limoges vient de faire le pari presque fou d’en proposer une nouvelle production, confiée aux soins de la talentueuse femme de théâtre française Sandrine Anglade. Disons-le d’emblée, la réussite est totale, et ce dans toutes les composantes du spectacle ! Pour la partie scénique, Sandrine Anglade a eu l’idée de mêler théâtre et musique en immergeant les chanteurs au milieu de l’orchestre, placé ici sur scène, dans les ramifications d’une structure en bois laqué noir qui vient figurer les fameux canaux de Bruges. Tout à la fois structurée et onirique, la scénographie parvient ainsi à rendre palpables les divagations psychiques du héros, à l’instar d’une figurante (Cécile Fargues) qui donne chair à ses hallucinations en incarnant de manière omniprésente la défunte.

Sous la direction exemplaire du chef bulgare Pavel Baleff, directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Baden-Baden (depuis 2007), l’Orchestre de l’Opéra de Limoges – en constants progrès depuis l’arrivée du non moins excellent Robert Tuohy à sa tête – offre une lecture vibrante et musicale d’une partition au romantisme influencé par Gustav Mahler et Richard Strauss.
Côté voix, le ténor canadien David Pomeroy (Paul) et la soprano sud-africaine Johanni Van Oostrum (Marietta) s’avèrent sensationnels, d’engagement dramatique autant que de facilité vocale, jusque dans les extrémismes vocaux requis par la redoutable partition de Korngold. Elle, le Lied au luth, elle l’allège, le caresse (Si bémol compris), avec, dans le timbre, une troublante nostalgie évocatrice ; Même l’Ut impossible de son arioso du III ne lui pose aucune difficulté. Lui a quelque chose de plus sombre et de plus fatal encore dans le timbre, ses élans sont inépuisables, et une très touchante mélancolie colore de vulnérabilité tout ce qui est intérieur. Il parvient par ailleurs à chanter piano toute la fin de l’ouvrage, et l’on ne peut que rendre les armes devant son exemplaire performance ! De son côté, le baryton autrichien Daniel Schmutzhard est saisissant d’élégance, en silhouette comme en phrase. Mention à la Brigitta de la jeune mezzo française Aline Martin, mais aussi à la Juliette de la pétulante Jennifer Michel, sans oublier ses impeccables partenaires : Romie Estèves (Lucienne), Loïx Félix (Victorin) et Pierre-Antoine Chaumine (Le Comte Albert).
Bref, un défi d’envergure, relevé avec brio, et à mettre au crédit de l’audacieux Opéra de Limoges !

 

 

 

 

 

 

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Compte-Rendu, Opéra. LIMOGES, Opéra, le 27 janvier 2019. Erich Wolfgang Korngold : Die tote Stadt (La Ville morte). Pavel Baleff / Sandrine Anglade.

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