mercredi 23 avril 2025

Compte-rendu opéra. Lyon, Opéra de Lyon, le 4 juillet 2017. Donizetti, Viva la mamma. Laurent Naouri (Mamma Agata), Lorenzo Viotti (direction), Laurent Pelly (mise en scène).

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

donizetti-viva-la-mamma-opera-de-lyon-compte-rendu-critique-par-classiquenews-582--1b-800Compte-rendu opéra. Lyon, Opéra de Lyon, le 4 juillet 2017. Donizetti, Viva la  mamma. Laurent Naouri (Mamma Agata), Lorenzo Viotti (direction), Laurent Pelly (mise en scène). Plus connu sous le titre Le convenienze e inconvenienze teatrali, la farce méta-théâtrale de Donizetti représentée à Naples en 1827, appartient à une longue tradition de l’opéra qui se moque de ses propres conventions. Le spectacle magnifique de Laurent Pelly rappelle l’autre immense réussite qu’a été l’Opera seria de Calzabigi et Gassmann, exhumé à Schwetzingen en 1994 par Jacobs et Martinoty. Mais tout le XVIIIe siècle et encore une bonne partie du siècle suivant ont été très friands de ces opéras qui s’interrogent sur le genre même, ses codes immuables et ses multiples travers. D’ailleurs l’opéra de Donizetti, comme déjà celui de Calzabigi, s’inspire du Teatro alla moda de Marcello, premier pamphlet incisif contre le monde gangrené de l’opéra. Ici nous sommes dans un ancien théâtre aux allures fantomatiques et dont la scène a été murée, transformé en parking, alors qu’une compagnie s’apprête à jouer l’opéra séria Romolo ed Ersilia, une des dernières créations de Métastase.

 

 

 

 

Donizetti chez les Marx Brothers

 

 

 

Tous les personnages clés s’y retrouvent, du compositeur au poète, aux quatre chanteurs principaux, en passant par l’imprésario et le directeur du théâtre. Comme chez Gassmann, rien ne se passe comme prévu. La prima donna fait la fine bouche et refuse de chanter en duo avec la seconda donna, ce qui provoque la colère du mari de la première qui veut prendre part à la production, et de la mère de la seconde qui elle, finira par se substituer à sa progéniture pourtant prometteuse, ruinant ainsi définitivement le spectacle par sa voix, lointaine cousine de la désormais célèbre Forster-Jenkins, plutôt qu’héritière de la divine Pasta, d’ailleurs citée dans le livret.

La lecture de Pelly est un modèle d’intelligence et d’efficacité théâtrale. Le décalage toujours potentiellement comique, déjà longuement vérifié dans Platée, chez ses nombreux Offenbach, mais aussi dans d’autres œuvres légères de Donizetti, est admirablement exploité et en parfaite osmose avec l’intrigue « décalée » de la pièce. Mais surtout, on y sent poindre à chaque instant un formidable travail d’équipe et la direction d’acteurs, réglée avec une précision d’entomologiste, fait mouche sans faiblir un seul instant. La beauté des décors de Chantal Thomas et des costumes (de Pelly) qui évoquent tour à tour l’Italie bourgeoise du XIXe et les fastes factices de l’opéra du XVIIIe, contribue au charme et à la réussite du spectacle qui repose d’abord sur une équipe de chanteurs exceptionnels.

 

La prestation de Laurent Naouri en Mamma Agata, synthèse comico-pathétique d’Anémone, des Vamps et de Harpo Marx, est d’anthologie : sa gouaille, son sens inné du comique, sa présence scénique et une diction exceptionnelle sont des modèles dont tous devraient s’inspirer. Son aisance vocale, passant sans difficulté du registre de baryton-basse à celui de falsetto, impressionne de bout en bout : le rôle semble taillé expressément pour lui et culmine dans la désopilante parodie de l’air du Saule de l’Otello rossinien, d’une bouffonnerie extrême.

 

Mais tous les autres interprètes sont à la hauteur et remplissent leur mission à la perfection. À l’exception peut-être, et c’est un savoureux paradoxe, de Patricia Ciofi, excellente comédienne et technicienne hors pair au demeurant, mais dont la voix, comme voilée, manque cruellement de brillant, surtout dans le registre médium. Dès lors, interpréter le rôle d’une Prima donna qui se donne de faux airs de diva, se voir doubler par une seconda donna, bien supérieure vocalement, ne manque pas de piquant, sauf à y lire un formidable numéro d’autodérision qui se révèle ici particulièrement approprié. Magistrale se révèle à juste titre Clara Meloni dans le rôle de Luigia, la seconda donna, petit bout de femme au tempérament bien affirmé qui transporte littéralement le public, le vrai comme le faux, dans son air magnifique avec violoncelle et harpe obligé. Venu à la rescousse de sa malheureuse épouse, le second ténor Procolo est campé par un truculent Charles Rice, plein de morgue, à la voix pas toujours bien posée, mais le caractère parodique de l’œuvre plonge le spectateur dans une sentiment trouble, incapable de saisir où est la vérité du jeu et celle de l’interprète, et lorsqu’il entonne à son tour son air de bravoure, on ne peut qu’être admiratif. Pietro Di Bianco est un « compositeur » très convaincant à la voix bien projetée et à la diction impeccable et montre sur scène d’authentiques talents de pianiste qui complètent idéalement le portrait du personnage. Mais notre coup de cœur va à Enea Scala, que nous avions découvert ici même à l’automne dernier dans Ermione de Rossini. Dans le rôle du Primo tenore, allemand, au nom interminable et imprononçable, il brille de façon exceptionnelle, ses aigus sont d’une insolente facilité, et on ne louera jamais assez la clarté du timbre et une émission d’une justesse remarquable. Enric Martinez-Castignani est un librettiste plus vrai que nature, comme ses congénères très bon comédien, et chanteur stylé, bien au fait de la koiné donizettienne. L’imprésario Piotr Micinski et le rôle (travesti) plus limité de Pipetto tenu par Katherine Aitken (au très beau timbre de mezzo), complètent magnifiquement le tableau, avec une mention spéciale pour les chœurs, tous masculins, ponctuellement sollicités, telles les témoins efficaces d’une tragédie grecque aux sous-vêtements satiriques.

 

Dans la fosse, le troisième Laurent de la soirée, Lorenzo Viotti, dirige l’orchestre de l’opéra de Lyon avec une vigueur roborative, toujours attentif au texte, aux mille nuances de la partition qui combine magistralement les moments de franche rigolade avec de superbes pages pathétiques, comme pour mieux révéler au final que le théâtre fantomatique qui s’est animé sous nos yeux n’est que la métaphore incarnée de cette illusion suprême qu’est fondamentalement l’opéra.

 

 

 

 

 

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Compte-rendu, opéra. Lyon, Opéra de Lyon, Gaetano Donizetti, Viva la mamma, le 4 juillet 2017. Laurent Naouri (Mamma Agata), Patricia Ciofi (Daria, Prima donna),  Charles Rice (Procolo), Clara Meloni (Luigia, Seconda Dama), Enea Scala (Guglielmo, Primo tenore), Pietro Di Bianco (Biscroma, chef d’orchestre), Enric Martinez-Castignani (Cesare, poète), Katherine Aitken (Pippetto), Piotr Micinski (L’Impresario), Dominique Beneforti (Le Directeur du théâtre), Orchestre et chœurs de l’Opéra de Lyon, Lorenzo Viotti (direction), Laurent Pelly (mise en scène et costumes), Chantal Thomas (décors), Joël Adam (lumières), Pierre Bleuse (chef des chœurs).

 

 

 

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