COMPTE-RENDU, opéra. NANTES, Th Graslin, le 3 avril 2019. RONCHETTI: les aventures de Pinocchio. Juliette Allen et instrumentistes de l’Ensemble intercontemporain/ Matthieu Roy. La littérature musicale à destination de la jeunesse confine fréquemment à la mièvrerie ou à la mode la plus vulgaire, reproduisant le plus souvent l’enfermement social du milieu de l’enfant. Les ouvrages de qualité, rares, méritent d’autant plus d’être signalés. Toujours animé de bonnes intentions, Pinocchio cède à la facilité, à l’illusion, au mirage du plaisir immédiat.
Un Pinocchio séduisant
Le parcours initiatique douloureux de la marionnette, riche en rebondissements, onirique aussi, réserve bien des surprises au jeune public. On se souvient de l’ouvrage de Philippe Boesmans, sombre à souhait. La vision que nous propose Lucia Ronchetti, compositrice italienne familière du répertoire lyrique, est plus lumineuse et davantage destinée aux enfants, par sa concision et la clarté de son propos. Pour autant l’œuvre musicale est pleinement aboutie, et les amateurs d’opéra auraient tort de s’en priver. Le format retenu est proche de celui de L’Histoire du soldat, cinq instrumentistes et une soprano, auxquels il faut ajouter une personne chargée de la régie et figurant.
Le spectacle repose déjà, et avant tout, sur la performance exceptionnelle de Juliette Allen, jeune chanteuse belge d’ascendance anglaise, extraordinaire de vérité et d’engagement, vocal et dramatique. Tour à tour Pinocchio et la jeune fille aux cheveux bleus, son chant, sa diction comme le corps se montrent souples, démonstratifs, et le public ne s’y trompe pas, lui réservant au finale de chaleureuses acclamations. La réussite est donc au rendez-vous. La voix est sonore, claire, ronde, fraîche et expressive dans tous les registres, comme dans tous les styles. L’intelligibilité est constante à quelques textes chantés près, soumis à une élocution rapide, quelles que soient les qualités de diction de l’interprète. Le langage musical, renouvelé au fil des scènes, va du chant rossinien à l’expression contemporaine, proche de celle de Georges Aperghis, dans son invention la plus riche.
Chacun des musiciens participe directement à l’action dramatique. Non seulement l’instrument – associé le plus souvent à un personnage – exprime son propos, mais aussi intervient dans le jeu scénique avec efficacité. Du violoncelle (Gepetto) au cor (le chat), c’est un bonheur que leur jeu individuel ou collectif.
Mettant en œuvre des moyens délibérément limités, comme ceux du théâtre de tréteaux, le projet, efficace, séduisant, servi par des interprètes engagés n’est pas totalement abouti. La mise en espace, plus que mise en scène, appelait sans doute davantage, sans pour autant recourir à d’autres moyens. Malgré les contraintes du projet, même résumée à ses principaux épisodes, l’histoire recèle un potentiel qui ne semble que partiellement exploité par la mise en scène, entre les moments de joie débridée, ceux de terreur, comme ceux de pure poésie. Les éclairages sans imagination laissent un goût d’inachevé. Les scènes s’enchaînent avec fluidité, quelques accessoires suffisent à nous entraîner au champ des miracles, au pays des jouets, dans le cirque avec son brutal propriétaire, au naufrage du bateau de Gepetto. On retrouve une âme d’enfant.
Pour autant, faut-il taire quelques interrogations d’un musicien exigeant, appliquant à l’œuvre les mêmes critères qu’à L’histoire du soldat ou aux Tréteaux de Maître Pierre, dont le format et l’ambition sont proches ? Ainsi y avait-il possibilité de solliciter le jeune public autrement qu’au travers de la parodie d’ « une jeune fillette » devenue « il conduit l’âne ». Ainsi, les respirations instrumentales, remarquables, sont-elles de durée trop brève, dictées par l’exigence de tout faire tenir en moins d’une heure. Les qualités d’écriture, manifestes, méritaient davantage de développement. L’ostinato du lamento se reproduit quatre ou cinq fois sur une quarte descendante confiée au cor. Est-ce suffisant, par-delà la citation, pour créer l’atmosphère du tableau ? Les respirations, particulièrement dans les moments chargés d’émotion, semblent abrégées. Quoi qu’il en soit, le plaisir est au rendez-vous tant les interprètes sont engagés dans ce projet original. Le public est ravi, l’essentiel est là.
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Compte rendu, opéra, Nantes, Théâtre Graslin, le 3 avril 2019. Ronchetti : les aventures de Pinocchio. Juliette Allen et instrumentistes de l’Ensemble intercontemporain/ Matthieu Roy. Crédit photographique © Ensemble Intercontemporain/ © ANO 2019