Après l’ouverture de la saison du Teatro alla Scala de Milan le 7 décembre dernier, c’est en direct de l’Opéra de Rome que nous assistons à la seconde retransmission dans les cinémas CGR. La Cenerentola (Cendrillon) est l’un des opéras les plus populaires de Gioachino Rossini (1792-1868) ; pour cette série diffusée dans les salles de cinéma, les responsables de l’Opéra de Rome ont convoqué une distribution de haut vol dominée par le Magnifico d’Alessandro Corbelli en grande forme.
Une Cenerentola mitigée à l’Opéra de Rome
Emma Dante signe la mise en scène. On peut le regretter d’autant plus qu’il n’y a pas grand chose à sauver. Direction d’acteurs indigente, des idées qui partent dans tous les sens avec des costumes, des décors et des lumières peu convaincants dans l’ensemble. Par exemple si les poupées qui accompagnent Angelina et Don Ramiro sont amusantes lors des premières apparitions des deux personnages, elles deviennent vite assez encombrantes. Quel dommage aussi que le corps de ballet soit si mal utilisé tant pendant l’ouverture que pendant le bal. Si l’on accepte comme base de travail la volonté de montrer le côté noir du conte de fée, était-il vraiment utile de montrer les prétendantes éconduites se suicidant l’une après l’autre pendant le bal ? Certes non, au risque de saisir les enfants présents dans la salle.
Nous avons, en revanche, plus de satisfaction en ce qui concerne la distribution. A tout seigneur tout honneur, Serena Malfi campe une Cenerentola/Angelina crédible, vocalement très en forme. Malgré des costumes ridicules et un peu perdue dans des décors très minimalistes, la mezzo soprano romaine se sort plutôt bien du maelstrom scénique dans lequel elle se retrouve. Elle assume crânement la tessiture redoutable du rôle et les deux airs qui lui sont dévolus sont chantés avec assurance, notamment le finale, abordé avec une maîtrise digne des plus grandes. Face à Malfi, le ténor argentin Juan Francisco Gatell se montre en pleine possession de ses moyens. Rossini a composé des pages terribles pour la voix de ténor, saluons donc la très belle performance de Gatell qui se sort comme il peut des élucubrations de Dante qui ne manque pas de mauvaises idées en ce qui concerne Don Ramiro. Outre les encombrantes poupées qui accompagnent le prince pendant presque toute la soirée, Angelina ne prend pas le bracelet à son bras mais à son pied ; du coup, Ramiro est obligé de se contorsionner pour regarder le bracelet de sa douce. Ugo Guagliardo remplace au pied levé le baryton invité à chanter Don Alidoro; la voix est belle, ronde, chaleureuse ; il chante son unique aria avec une belle maîtrise. Dominant la scène de la tête et des épaules, Alessandro Corbelli est un Don Magnifico de grand luxe ; comédien consommé, il fait ce qu’il peut avec ce que lui «propose» Emma Dante. Corbelli qui ballade ce rôle depuis de longues années sur toutes les grandes scènes lyriques, donne une leçon de chant grandeur nature : la ligne de chant est impeccable, la voix ferme, les vocalises précises, la technique parfaite. Annunziata Vestri (Tisbe) et Damiana Mizzi (Clorinda) campent deux sœurs au mieux correctes, mais comme leurs collègues elles sont désavantagées par la mise en scène. Vito Priante, lui, est un Dandini hilarant; faux prince et vrai valet, il est peu décidé à se laisser marcher sur les pieds par Don Magnifico et ses filles, il prend un malin plaisir à enfoncer le clou, surtout, lorsqu’au second acte, il revient sous son vrai statut de valet chez Don Magnifico avec Don Ramiro redevenu prince. Le choeur d’hommes de l’Opéra de Rome fort bien préparé par son chef se montre à la hauteur des solistes et tient fort joliment sa place sur scène. Dans la fosse, c’est le chef argentin Alejo Perez qui dirige l’orchestre de l’Opéra de Rome. La battue est ferme, claire, précise. Attentif à ce qui se passe sur le plateau, il accompagne ses chanteurs avec subtilité sans jamais les couvrir.
C’est avec un sentiment final très mitigé que nous avons quitté la salle, n’ayant pas vraiment compris le propos d’Emma Dante a fini par se perdre dans le méandre de ses idées. Nous le regrettons d’autant plus que le plateau réuni pour cette série de La Cenerentola est globalement excellent avec une mention spéciale à Alessandro Corbelli en Don Magnifico; le vétéran a su élever vers le haut une soirée qui dans sa réalisation visuelle, semblait bien mal partie.
Compte rendu, opéra. Poitiers. CGR Castille en direct de l’Opéra de Rome, le 22 janvier 2016. Rossini : La Cenerentola, opéra en deux actes sur un livret de Jacopo Ferretti tiré du conte de Charles Perrault (1628-1703) «Cendrillon». Serena Malfi, Angelina (Cenerentola), Juan Francisco Gatell, Don Ramiro, Alessandro Corbelli, Don Magnifico, Ugo Guagliardo, Don Alidoro, Annunziata Vestri, Tisbe, Damiana Mizzi, Clorinda, Vito Priante, Dandini. Choeur et orchestre de l’Opéra de Rome. Alejo Perez, direction. Emma Dante, mise en scène.