Rareté à l’Auditorium du Musée d’Orsay : Benjamin Lévy, directeur musical de la compagnie Les Brigands et amoureux de la musique de Jacques Offenbach, permet au public parisien de découvrir une œuvre méconnue du « petit Mozart des Champs-Elysées », fruit de la rencontre entre le compositeur et le grand librettiste Scribe, les deux esprits adaptant une fable de Jean de la Fontaine pour donner naissance à un opéra-comique en un acte, La Chatte métamorphosée en femme. Créée en avril 1858, quelques mois avant Orphée aux Enfers qui allait apporter célébrité et succès à son auteur, cette pièce courte aux rebondissements nombreux nous permet de goûter à une musique d’un goût exquis, pétillante et enlevée, où la mélancolie n’est pourtant jamais bien loin.
Servie par la mise en scène dépouillée et parfaitement évocatrice d’Alexandra Lacroix, cette production simple se sert de la félinité de son sujet pour évoquer ce qui apparaît pour nous comme l’importance du rapport au corps, magnifié toute la représentation durant par la présence de la Chatte, superbement incarnée par la chorégraphe et danseuse Francesca Bonato, à la présence évidente aux mouvements d’une élégance jamais prise en défaut.
La félinité faite femme
Dirigé avec une fougue malicieuse par Benjamin Lévy, l’Orchestre de chambre Pelléas sonne très équilibré, parfois trop sonore pour l’intimité du lieu, mais bondissant d’un élan irrésistible. On demeurait surpris sur le papier par les morceaux ajoutés, postérieurs à la partition originale, mais force est de reconnaître que la romance de Fortunio convient parfaitement à la passion secrète dont brûle Guido pour sa chatte, et que le ballet des Flocons de neige extrait du Voyage dans la Lune apporte toute sa fantasmagorie tourbillonnante à la transformation de la féline créature en charmante jeune femme. Seul l’air de Catherine tiré de Pomme d’Api apparait incongru, prenant place à un moment de l’intrigue où Marianne, à qui il revient, est censée demeurer muette.
Le plateau, très soudé et parfaitement rompu à ce répertoire, n’apporte que des satisfactions. Court mais marquant, le rôle de Dig Dig trouve en Guillaume Andrieux un interprète idéal, capable de toutes les prouesses, allant jusqu’à chanter – et très bien – la tête en bas, suspendu par les pieds au lustre qui surplombe le plateau !
Touchante dans son premier air, Pauline Sabatier, qu’on retrouve avec plaisir depuis un Lazuli marquant à l’Opéra du Rhin dans l’Etoile de Chabrier en 2008, fait admirer la beauté de son timbre velouté, qui n’a rien perdu des qualités musicales et émotionnelles qui nous avait marqués alors.
Toujours à sa place dans le répertoire français, François Rougier, après Fritz à l’Athénée voilà deux mois, renoue avec Offenbach et incarne excellemment ce personnage misanthrope qu’est Guido, grâce à son émission claire et percutante.
Elle aussi habituée au répertoire léger du 19e siècle, Magali Léger se coule avec une aisance déconcertante dans le rôle facétieux de Minette et adopte les manières félines avec un plaisir non dissimulé. Vocalement, elle paraît très à son aise dans cette écriture nécessitant à la fois clarté du texte et aisance dans l’aigu, et remporte ainsi un beau succès au moment des saluts. Enjoué, on ressort de la salle, répétant le maître mot du refrain de Minette : « Miaou ».
Paris. Auditorium du Musée d’Orsay, 6 février 2014. Jacques Offenbach : La Chatte métamorphosée en femme. Livret de Scribe et Mélesville d’après une fable de Jean de La Fontaine. Avec Minette : Magali Léger ; Marianne : Pauline Sabatier ; Guido : François Rougier ; Dig Dig : Guillaume Andrieux ; La Chatte : Francesca Bonato. Orchestre de chambre Pelléas. Benjamin Lévy, direction musicale. Mise en scène et scénographie : Alexandra Lacroix ; Chorégraphie : Francesca Bonato ; Costumes : Aline Ehrsam ; Lumières : Anne Vaglio ; Orchestration : Thibault Perrine ; Chef de chant : Martin Surot.