Reprise choc à l’Opéra Comique. La Salle Favart remonte sa production de 2010 du seul opéra de Claude Debussy, Pelléas et Mélisande, dans la mise en scène signée Stéphane Braunschweig. L’Orchestre des Champs Elysées dirigé par Louis Langrée apporte précision et netteté sur instruments anciens. Chef-d’oeuvre incontestable du 20e siècle, l’ouvrage voit le jour précisément à l’Opéra Comique, dès sa naissance bastion de la modernité en 1902. En effet, cette première d’hiver est la 455e représentation de l’ouvrage dans les murs qui l’ont vu naître. L’histoire est celle de la pièce de théâtre symboliste homonyme de Maurice Maeterlinck. La spécificité littéraire et dramaturgique de l’oeuvre originelle permet plusieurs lectures de l’opéra. La puissance évocatrice du texte est superbement traduite en musique par Debussy. Ici, Golaud, prince d’Allemonde, perdu dans une forêt, retrouve la belle et étrange, Mélisande, … qu’il épouse. Elle tombera amoureuse de son beau-frère Pelléas. Peu d’actions et beaucoup de descriptions font de la pièce une véritable rareté.
Il fait sombre dans les jardins
Dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig, le flou symboliste recule et les sentiments, pour peu qu’il soient explicites, gagnent en pertinence. L’aspect légèrement enfantin et abstrait des décors (aussi de Stéphane Braunschweig) sont efficaces, mais pas pour tous les goûts. Le travail avec les acteurs/chanteur, lui, convainc unanimement. La faiblesse frappante en est le traitement des interludes et des changement de tableaux, il est très difficile de rester concentré sur l’oeuvre quand il y a souvent des minutes de silence dans le noir… Karen Vourc’h interprète Mélisande, elle commence avec une puissance dramatique étonnante, parfois excessive. La chanteuse est investie complètement, et ses dons d’actrice sont indéniables. Vocalement, c’est une Mélisande dont la première scène restera la plus marquante, ensuite elle est la Mélisande éthérée et onirique dont beaucoup rêvent. Une légèreté, une transparence, des aigus perçants, une fragilité naturelle font d’elle LA Mélisande préférée des symbolistes fin de siècle. Phillip Addis rayonne dans le rôle de Pelléas. Ses aigus solaires ne sont pas très puissants soulignons la difficulté vocale du rôle à la tessiture ambiguë), mais comme sa partenaire le baryton incarne le personnage avec un charisme juvénile auquel il est difficile de rester insensible. Le Golaud de Laurent Alvaro frappe l’auditoire par sa force théâtrale également, mais sa vocalité reste un peu rustique. L’effet est impressionnant puisqu’il crée une sorte d’équilibre avec les deux autres rôles principaux plus fragiles.
La Genéviève de Sylvie Brunet-Grupposo a un timbre particulier, elle incarne le rôle de la mère avec une chaleur particulière. Si nous aimons la performance et surtout la prestance de l’Arkel de Jérôme Varnier, comme la candeur de l’Yniold de Dima Bawab, dommage que l’orchestre couvre la voix du dernier fréquemment et le manque de relief de la dernière. L’Orchestre des Champs Elysees dirigé par Louis Langrée éblouit la grande majorité du public. Pourtant l’interprétation des excellents musiciens ne dépasse pas les limites du correct. En l’occurrence la musique est belle mais pas sensuelle et l’aspect harmonique paraît plus classique que moderne. Néanmoins, la prestation de l’orchestre
évolue progressivement et ses beautés se trouvent dans la clarté et la précision plus que dans la couleur. Fabuleuse et intelligente reprise à l’Opéra Comique, tout à fait à la hauteur du lieu.
Illustration : © Claire Besse