Compte-rendu, opéra. TOURS, le 23 avril 2017. PUCCINI : TOSCA. Maria Katzarava. Benjamin Pionnier / Pier-Francesco Maestrini. Voilà une (nouvelle) production somptueuse et riche en décors et références pour chaque acte, au contexte de la Rome romantique de 1800 (à l’époque de la victoire napoléonienne de Marengo)- car une toile au devant de la scène permettant un décor sur toute la largeur, évoque tantôt la fuite de l’ancien préfet de la république de Rome alors déchue (Angelotti réduit à une ombre que l’on devine s’échapper) puis le portrait de femme (l’Attaventi) que Mario artiste républicain donc bonapartiste finit de peindre dans l’église Sant Andrea della Valle pour une sublime Madeleine au pied de la Croix… immédiatement la situation dramatique s’inscrit dans l’imaginaire du spectateur qui ne perd aucun enjeux ni aucun détail des éléments cités dans le livret. L’image fait une incursion intelligente dans le déploiement des tableaux. On se délecte ainsi de détails “oubliés”, pourtant présents mais moins signifiants ailleurs, à ce degré de réalisme. Aussitôt c’est le théâtre qui s’invite sur la scène lyrique d’autant que la pièce de Victorien Sardou a été magistralement adaptée à la scène par Puccini et ses librettistes (Luigi Illica et Giuseppe Giacosa). Voilà une production ô combien juste qui rétablit la place du jeu théâtral et de la force des tableaux visuels dans Tosca.
PUCCINI dramatique et lyrique. Grâce à une direction précise et particulièrement nuancée le temps dramatique fusionne avec le temps musical : la baguette de Benjamin Pionnier sait respirer et s’alanguir, autant dans le murmure que la déflagration ; le maestro sait installer de somptueuses atmosphères, des climats qui regorgent d’indices émotionnels mêlés, composant le plus vibrant et palpitant des chants orchestraux. La vision est claire et fluide, d’une rare élégance expressive avec pour chaque séquence, une atténuation recherchée de la couleur et du timbre qui au final approfondit l’intensité comme la justesse poétique de chaque épisode.
Pari réussi pour le chef et directeur de l’Opéra de Tours, Benjamin Pionnier, la nouvelle production de Tosca est aussi visuelle que psychologique
Une nouvelle Tosca au souffle symphonique
Ainsi l’acte I file comme une fresque cinématographique d’une remarquable acuité de ton : c’est un acte d’exposition où paraissent tout à tour, la jalousie maladive de Tosca sous son masque d’espièglerie amoureuse. Puis la figure sadique et manipulatrice du baron Scarpia, chez lequel pouvoir et emprise sexuelle se mêlent imperceptiblement. Le souffle du collectif (magistral aplomb du chœur final) comme le relief des tempéraments individuels se trouvent parfaitement articulés grâce à une vision d’architecte : le chef veille aux équilibres entre chaque partie. Dans le II, -acte de torture physique (sur Mario) et psychologique (la proie est ici Tosca), le chef exprime par la tenue d’un orchestre très maîtrisé, le cynisme à l’œuvre dont se délecte le bourreau Scarpia, et le renversement de situation … quand l’ignoble prédateur s’abattant sur Tosca, reçoit le coup de couteau qu’il n’avait pas prévu et qui le précipite en enfer, en âme damnée… le tableau des deux bougeoirs au chevet du cadavre raidi a toujours un impact incroyable et montre combien ici quand l’opéra fusionne avec le théâtre, la musique est en capacité de sublimer une situation.
Sachant aussi calibrer chaque effet et accent dans le vaste maelstrom orchestral, Benjamin Pionnier saisit le raffinement de l’orchestration fabuleusement suggestive de Puccini comme sa violence et sa fureur rentrée qui fait de Tosca, un opéra esentiellement symphonique. L’idée du Puccini contemporain alors, des derniers essais orchestraux du passionnant Richard Strauss, se précise et la direction tout en retenue et en acuité du chef a dévoilé combien cette Tosca de 1900 préparait déjà dans ses fureurs spectaculaires comme inscrites dans la psyché la plus ténue, les Salomé et Elektra à venir: ici et là, un orchestre somptueusement vénéneux, aux couleurs et rugosités fauves. Tout cela éclaire derrière et autour des protagonistes, le contexte sonore et historique qui assoit d’autant mieux le déroulement de l’action psychologique.
Telle vision active et subtile s’accomplit idéalement dans le fameux air de la cantatrice à genoux “Vissi d’arte, vissi d’amore”, déchirante prière d’une femme toujours pieuse qui ne comprend pas que Dieu puisse lui infliger une telle souffrance… accordés au chant soliste, les couleurs et le format de l’orchestre sont superlatifs dans ce qui demeure le moment clé de l’action.
D’autant que la vraie vedette de la production aux côtés d’une fosse souveraine, reste le soprano puissant, clair, timbré, fabuleusement rond et charnel, comme clair et subtil de la mexicaine Maria Katzarava.
La formidable intensité du jeu, la brillance et la sincérité du style comme des intentions assurent à la chanteuse, une irrésistible séduction. Au I, elle est juvénile presque ingénue, quoique maladivement jalouse comme on a dit. Au II, la diva paraît grave et mûre, en robe de soirée, artiste accomplie, cantatrice dans l’histoire et sur la scène, mise en abyme hyperréaliste. C’est une autre femme qui paraît désormais, liée au drame tragique qui va l’emporter au III. Ce changement crédible dans l’incarnation, cette progression qui traverse et cristallise chacune des étapes de la tragédie (ici les 3 protagonistes trouvent la mort au terme des 3 actes) affirment une chanteuse et une actrice très attachante.
A ses côtés, le Mario Cavaradossi de Angelo Villari, s’il n’offre pas pareille palette de nuances émotionnelles, conserve de bout en bout, cette ardeur tranchante, fureur au poing, dévoilant le révolutionnaire, prêt à en découdre, malgré la douleur que lui inflige la scène de torture du II. Assez lisse, et gris, le Scarpia de Valdis Jansons gagne une épaisseur barbare au II : la figure démoniaque gagne une présence manifeste à mesure qu’elle s’impose à Tosca, auteur d’un chantage monstrueux. Parmi les comprimari,- rôles secondaires, le Sacristain de Francis Dudziak relève les défis du seul rôle comique – pleutre et supersticieux, dans une arène incandescente. On distinguera tout autant l’impeccable tenue des Choeurs maison, préparé par Alexandre Herviant. Superbe nouvelle production qui saisit par l’intelligence de sa vision orchestrale.
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Compte-rendu, opéra. TOURS, le 23 avril 2017. PUCCINI : TOSCA. Maria Katzarava. Benjamin Pionnier / Pier-Francesco Maestrini. Encore à l’affiche de l’Opéra de Tours, les mardi 25 puis jeudi 27 avril 2017, 20h.