Compte-rendu, opéra. Versailles, Opéra royal, le 21 mai 2017. MA Charpentier: Médée, Colin Ainsworth (Jason), Peggy Kriha Dye (Médée), Tafelmusik Baroque Orchestra, Fallis / Pynkoski. On se souvient du duo Minkowski-Pynkoski dans Didon et Énée de Purcell il y a quelques années, et plus récemment des productions d’opéras français, avec le Tafelmusik de Toronto et une équipe de chanteurs sensiblement identique ici même à Versailles (Armide, Persée). Cette nouvelle production du chef-d’œuvre de Charpentier, hélas amputée de son prologue, intrigue par son approche hétéroclite : pas d’éclairages à la bougie à la Benjamin Lazar, mais l’usage ingénieux du stroboscope ; superbes costumes de Michael Gouffe, mais qui lorgnent parfois du côté pirates des caraïbes, c’est Dumas revisité par Disney ; les toiles peintes pourraient rappeler la pratique du Grand Siècle (et la scène des Enfers est un bel hommage à Piranèse), mais certains tableaux aux perspectives déformées (le palais antique des actes II et V) nous ramènent au temps contemporain des formes revisitées ; la gestuelle est dans l’ensemble bien timide et se limite à quelques gestes finalement convenus, quand ils ne sont pas contrebalancés par des attitudes un brin excessives (les cris d’orfraie de Médée) qui entachent la justesse vocale.
Médée hétéroclite
Pourtant la magie opère et le spectacle est visuellement une grande réussite (l’apparition soudaine du rideau de flammes qui disparaît tout aussitôt pour révéler la robe empoisonnée, l’acte des jardins et son esthétique très « Fragonard »). Les chorégraphies de Jeannette Lajeunesse Zingg sont d’une redoutable précision, même si les pas de danse font moins penser au Grand Siècle qu’au Grand ballet de l’opéra de Paris du XIXe et qu’on peut regretter la vision bien sage qu’offrent les danseurs lors de l’invocation infernale de la magicienne.
Du côté de la distribution, la déception est au rendez-vous. Dans le rôle-titre, Peggy Kriha Dye use d’un vibrato peu idoine et sa ligne vocale n’a pas la puissance et la noblesse qu’exige un tel personnage, mais on peut lui reconnaître une réelle présence scénique, un peu trop expressionniste toutefois, et un bel effort dans la prononciation malgré quelques dérapages. Colin Ainsworth impressionne par son ampleur vocale, mais celle-ci est gâtée par des problèmes de justesse, musicales et textuelles (« dissimuli » pour « dissimulé », « L’ongage » pour « L’engage », etc.), et surtout pèche par son manque de noblesse. Mireille Asselin, une des rares francophones de la distribution, est une Créüse élégante à la voix bien posée et à la diction impeccable, même si la projection est plus limitée. Si Jesse Blumberg est un Oronte solide, barytonnant à souhait, l’Arcas d’Olivier Laquerre possède également un beau timbre mais son vibrato est aussi excessif qu’incongru.
Nous ont convaincu la Nérine de Meghan Lindsay et surtout le Créon impressionnant de Stephen Hegedus, la plus belle voix de la soirée, d’une noirceur et d’une élocution exceptionnelles.
La réussite du spectacle, toutefois, repose davantage encore sur les musiciens de Tafelmusik, pendant des décennies dirigées par Jeanne Lamon, aujourd’hui par David Fallis : précision et élégance des archets, équilibre rare des pupitres qui n’exclut pas les contrastes. La grâce était de leur côté et du côté des voix magnifiques du Chœur Marguerite Louise, excellemment préparés par Gaëtan Jarry. Si elles étaient reléguées hors de la scène, chacune de leurs interventions étaient marquées du coin de l’efficacité dramatique, en phase avec l’origine tragique de l’opéra français voulu par le Florentin Lully.
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Compte-rendu opéra. Versailles, Opéra royal, Marc-Antoine Charpentier, Médée, 21 mai 2017. Colin Ainsworth (Jason), Mireille Asselin (Créüse), Jesse Blumberg (Oronte), Peggy Kriha Dye (Médée), Christopher Enns (La Jalousie/Un Corinthien), Stephen Hegedus (Créon), Olivier Laquerre (Arcas/La Vengeance/Un Agien), Meghan Lindsay (Nérine/Un Captif), Kevin Skelton (Un Corinthien/Un Captif), Karine White (Cléone/Un Captif) Chœur Marguerite Louise (direction Gaétan Jarry), Tafelmusik Baroque Orchestra, David Fallis (direction), Marshall Pynkoski (mise en scène), Jeannette Lajeunesse Zingg (chorégraphie), Gerard Gauci (décors), Michael Legouffe (costumes), Michelle Ramsay (lumières).