Compte rendu, oratorio. Paris, TCE, le 10 octobre 2015. Haendel : Theodora. Katherine Watson, D’Oustrac, Thorpe… William Christie, direction. Grand retour de Theodora, l’oratorio du silence et de la lenteur, au TCE à Paris, sublimé par le geste concentré, noble et introspectif de William Christie à la tête de ses troupes des Arts Florissants. C’est un comble méritant en effet que l’oratorio, forme abstraite et spirituelle, de surcroît celui qui est le plus allégorique, ne nécessitant doncpas de mise en scène, soit ici scénographie : pas facile de rendre dramatique, une partition qui l’est déjà par la seule musique, ses contrastes et épisodes enchaînés. Hymne fraternel pour la tolérance, contre l’oppression sous toute ses formes, Theodora malgré son sujet chrétien est une fresque saisissante qui dépasse l’anecdote pour atteindre à l’universel. C’est toute la compréhension profonde et subtilement intérieure qu’apporte William Christie dont on ne cessera jamais de remarquer cet équilibre souverainentre l’élégance de la forme et la profondeur de chaque inflexion. Ce poli formel, cette perfection de l’intonation dont de ses Haendel, des références absolues (ses récents enregistrements d’un autre oratorio Belshaazar, qui inaugurait son propre label, puis Musiques pour les Funérailles de la Reine Caroline ont confirmé une affinité viscérale entre le chef et le compositeur saxon. Les 2 cd ont été élus CLIC de classiquenews à juste titre.
Après Glyndebourne en 1996, William Christie reprend Theodora à Paris
Magie haendélienne au TCE
Le metteur en scène Stephen Langridge a le mérite de travailler la clarté de l’action ; des soldats d’une époque et d’un lieu indéfini oppriment un peuple de croyants (qui peuvent être aussi de toute époque et de tout continent) : ce n’est donc pas un narration restituée dans son milieu et dans son histoire qui importe ici mais la violence et la barbarie de la situation qui prime sur le reste (les spectateurs sont confrontés à des scènes allusives cependant très fortes : exécution, prostitution obligée dont celle de la chrétienne Theodora… emblèmes ordinaires d’un pouvoir totalitaire qui exerce la terreur).
Ainsi l’oratorio de 1749 gagne une grandeur symbolique évidente ; et dans une scène épurée, la force psychologique des protagoniste est particulièrement mise en avant, d’autant que William Christie a le secret de leur caractérisation. Le chef s’entend à merveille à exprimer la gravité digne du dernier Haendel, celui qui aux portes de la mort et de la nuit (à cause de sa cécité grandissante) s’économise et cible l’essentiel.
Si l’on attendait le sopraniste Philippe Jaroussky en Didyme (honnête il est vrai mais pas mémorable : trop lisse, trop plastiquement poseur), c’est surtout Katherine Watson, partenaire familière de Wiliam Christie (elle a déjà chanté à son festival vendéen de Thiré : Dans les Jardins de William Christie), qui captive par sa très fine présence, offrant au caractère de Theodora, la puissance calme et serine des élus : certitude intérieure, d’une inaltérable conviction servie par un tempérament extérieur entre maîtrise et sensibilité (les détracteurs diront froideur et rigidité anglosaxonne). Le style est parfait et la langue, idéalement articulée. Les voix graves, Stéphanie d’Oustrac en Irène (embrasée) et Callum Thorpe (hier lauréat d’un précédent Jardin des voix) en Valens (gouverneur dictateur juvénil, un parfait « effeminato », pervers/autoritaire à la façon du Nerone de Monteverdi et Busenello), tempèrent cette fresque angélique et profonde, de teintes plus âpres et déchirantes ; inquiet et tiraillé, le compagnon de Didymus, et comme lui soldat romain, trouve en Kresimir Spicer, un être palpitant à l’âme ardente et en déséquilibre (quoique parfois une rien retenu, presque naît et trop candide). Remarquables figures.
A la ligne noble et mordante des solistes répond la masse ciselée du choeur, l’un des plus méditatifs et spirituels de Haendel (chrétiens inspirés, hallucinés ; romains quoiqu’ils en disent, admirateurs d’une telle passion), grâce à la direction ample, mesurée, structurelle d’un Christie, expert en la matière. Souvent le chef peste contre la réaction bruyante du public, mais il est soucieux de la tension continue et de la fluidité de son incroyable mécanique musicale. Les spectateurs oublieraient-ils qu’ils assistent à un oratorio, et non un opéra ? On se souvient d’une Susanna inoubliable à Ambronay et d’une Theodora déjà légendaire il y a 20 ans à Glyndebourne (1996, scénographiée alors par Peter Sellars avec les torches incandescentes Lorraine Hunt et Richard Croft) : cette Theodora parisienne, grâce à la magie envoûtante d’un Christie plus handélien que jamais, – et inégalé dans ce répertoire : entre finesse et spiritualité-, est en passe de renouveler le prodige, tout au moins sur le plan instrumental et choral.
Theodora de Haendel par William Christie, à l’affiche du TCE à Paris, les 16, 18 et 20 octobre 2015.