mardi 22 avril 2025

Compte rendu, récital lyrique. Paris. Opéra Comique, le 9 avril 2014. décembre 2009. Récital Annick Massis et Michael Spyres. Orchestre Symphonique de Mulhouse. Emmanuel Plasson, direction musicale

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annick_massisToujours prête à voler au secours de l’enfance maltraitée tout autour du globe, l’association Coline Opéra continue à mettre l’art lyrique au service d’une noble cause. Grâce à son action, un grand nombre d’opérations vitales ont déjà pu être lancées, comme l’achat de matériel médical coûteux ou encore la rénovation et l’agrandissement de la maison des enfants indigents à l’hôpital de la Chaîne de l’Espoir à Phnom Penh, au Cambodge. Un mouvement courageux qui se doit d’être soutenu pleinement, et la musique reste un vecteur privilégié pour éveiller les cœurs comme les consciences.

Une fois encore, c’est à l’Opéra Comique que la soirée se passe, et c’est bien entendu le répertoire français qui est à l’honneur, avec un récital à deux voix, Annick Massis, enfin de retour dans la capitale, unissant ses accents à ceux du ténor Michael Spyres, déjà présent in loco dans La Muette de Portici d’Auber. La lecture du programme promet des plaisirs variés, du beau chant, et une agréable soirée.

Bel canto à la française

Commençons d’entrée par un constat que nous jugeons alarmant : le chemin qu’emprunte depuis quelques années Michael Spyres, que nous suivons depuis longtemps. Ayant commencé ses études vocales comme baryton, le chanteur américain a peu à peu gravi la tessiture pour devenir le ténor que l’on sait. De ces débuts dans une écriture plus grave, l’artiste a gardé un grave facile et une longueur de voix appréciable. Ce qui a poussé l’univers belcantiste, orphelin depuis le retrait de Chris Merritt, à voir en lui le successeur du célèbre baryténor et à lui confier tous ses emplois, indistribuables aujourd’hui. Las, plus le temps passe, plus ces rôles inhumains apparaissent malsains à long terme pour la voix de Michael Spyres. De brillant et coloré, l’instrument du ténor est devenu terne et lourd, comme plombé par un médium grossi, dans une construction pyramidale où la voix se rétrécit au fur et à mesure qu’elle s’élève vers l’aigu.

spyres Michael+Spyres+SpyresLes notes hautes se révélant ainsi parfois inaudibles, privées de corps comme de projection, la massivité du registre médian s’avérant impossible à porter jusqu’aux cimes. Une dégradation vocale qui nous peine sincèrement et que nous ne pouvions passer sous silence. C’est ainsi que débuter le concert par l’air d’Eléazar dans La Juive d’Halévy relève de la folie pure, la voix demeurant constamment tirée vers le bas, faisant craindre le pire à chaque aigu. Et il en est ainsi tout le long de la soirée, le paroxysme étant atteint avec le Faust de Berlioz, artificiellement grossi tout du long, sans conséquence pourtant puisque la partition ne dépasse pas le La aigu. Seul l’air « Viens, gentille dame », tiré de la Dame blanche de Boieldieu, laisse entrevoir une éclaircie dans cet avenir vocal décidément bien sombre, le centre de gravité très haut de ce morceau forçant le chanteur à un placement plus haut et bien plus fin, bannissant toute lourdeur. Et l’aigu devient miraculeusement aisé et sonore, presque mixte, comme un naturel retrouvé. Une piste à suivre, selon nous.

C’est tout le contraire avec une Annick Massis toujours fabuleusement préservée, en glorieuse forme ce soir. L’instrument sonne plus riche que jamais, emplissant le théâtre avec une facilité jubilatoire. On retrouve avec bonheur son Eudoxie dans la Juive, quelques années après son triomphe dans ce même rôle sur la scène de l’Opéra Bastille. Un rien de trac, mais une exécution qui n’a que peu de rivales aujourd’hui. L’écriture de Mathilde dans Guillaume Tell semble moins naturellement lui convenir, exigeant une largeur dans le médium et le grave qui n’est pas la sienne, mais l’artiste sait au mieux utiliser ses moyens et phrase avec beaucoup d’élégance « Sombre forêt », malheureusement amputé de son récitatif.

L’entracte passé, et toute appréhension envolée, la soprano française met la salle à ses pieds avec un air du Miroir de Thaïs proprement électrisant. Là encore, le bas de la tessiture demeure un rien discret, mais contrairement à son partenaire, elle épargne le grave pour mieux conserver son aigu. Et c’est une preuve définitive qu’elle donne à tous en concluant l’air par un contre-ré époustouflant de richesse et d’ampleur, qui déchaîne l’enthousiasme du public. Littéralement déchaînés, les spectateurs la rappellent bruyamment plusieurs fois, comme des retrouvailles attendues. Et Annick Massis clôt cette soirée avec un Manon débordante de sensualité et de magnétisme, texte ciselé et voix généreusement déployée avec la vocalité exacte du rôle, volant littéralement la vedette à son Des Grieux – l’écriture du Chevalier convenant par ailleurs plus naturellement au ténor –.

Devant la joie manifeste du public, les deux artistes reprennent la fin du duo de Guillaume Tell – la soprano n’hésitant plus à laisser sonner pleinement sa voix – et entonnent un curieux Brindisi de la Traviata, totalement incongru dans ce programme, mais très bien chanté par les deux interprètes, chacun y trouvant un emploi idéal. A la tête d’un Orchestre Symphonique de Mulhouse en bonne forme, Emmanuel Plasson met en valeur son métier et sa compréhension de ce répertoire, en digne héritier de son père.

On salue également la découverte que constitue la quatrième symphonie de Reber, dont nous est offert ici un seul mouvement, fragment qui donne pleinement envie de goûter la suite.

Une soirée déroutante, qui nous a démontré une fois de plus quelle grande artiste est Annick Massis, et qui nous a convaincu de tirer la sonnette d’alarme concernant Michael Spyres, l’interprète en vaut la peine.

Paris. Opéra Comique, 9 avril 2014. Daniel-François-Esprit Auber : La Muette de Portici, Ouverture. Gioacchino Rossini : Guillaume Tell, « Sombre forêt ». Jacques-Fromental Halévy : La Juive, « Rachel, quand du Seigneur », « Voici longtemps la crainte et la tristesse ». François-Adrien Boieldieu : La Dame blanche, « Viens, gentille dame ». Gioacchino Rossini : Guillaume Tell, Duo Mathilde et Arnold. Jules Massenet : Thaïs, Méditation, « Dis-moi que je suis belle » ; Werther, « Pourquoi me réveiller ». Hector Berlioz : La Damnation de Faust, « Nature immense ». Napoléon-Henri Reber : Symphonie n°4, Premier mouvement. Jules Massenet : Manon, « Oui, c’est moi ». Annick Massis et Michael Spyres. Orchestre Symphonique de Mulhouse. Emmanuel Plasson, direction musicale.

Illustrations : Annick Massis (DR). Michael Spyres (DR)

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