Le Capitole présente pour sa fin de saison opératique l’une des productions les plus accomplies de son histoire. Déjà en 2005, il n’y avait eu presque que des louanges. Cette année, un pas de plus est franchi, avec une distribution … proche de l’idéal.
Le Don Carlo du ténor Dimitri Pittas est passionnant alors que le rôle est plein d’ambiguïtés vocales. Le timbre très clair permet de camper la jeunesse du personnage. La puissance vocale l’autorise à passer admirablement dans les ensembles grâce à un habile placement de voix. Le jeu scénique suggère l’inhibition dont souffre le jeune Infant, sa crainte face à son père, sa fragilité devant son amour dévorant pour Elisabetta. L’évolution du personnage est passionnante avec un pauvre amoureux déçu et un fils castré au premier acte. Puis dans le duo avec Elisabetta, il explose de déception amoureuse et arrive à exprimer ses sentiments jusque dans son malaise hystérique. Enfin la sublimation de l’amour auquel il se contraint au dernier tableau est rendue crédible par la franchise de l’émission et la classe de la ligne de chant, parfaitement assortie aux courbes vocales d’Elisabetta.
Le Capitole affiche un Don Carlo de rêve …
Le couple qu’il forme avec Tamar Iveri est très crédible dans le jeu scénique et les voix sont magnifiquement assorties. La voix ronde et chaude de Tamar Iveri, sa capacité de nuances, l’égalité des registres et la variété de ses couleurs vocales font merveille. Le recherche de maîtrise de soi, comme la fierté face à son époux violent font d’elle une reine admirable, certes victime de son destin, mais consciente des événements. Le duo final de l’opéra, après un « Tu che le vanità » absolument magnifique de ligne et d’équilibre des registres, est un pur moment de grâce.
Certes l’abandon de l’acte de Fontainebleau nous a privé de leur premier duo, mais ce couple d’amoureux obligé de se refugier dans la sublimation est particulièrement touchant : il domine l’action. Les relations tant vocales que scéniques entretenues par le rôle titre avec Posa et Philippe comme Eboli sont également parfaitement équilibrées et crédibles. Avec un magnifique Don Carlo, un des principaux écueils de cet opéra complexe est dépassé. Le drame fonctionne à merveille. Don Carlo au centre des relations permet à la dramaturgie de dérouler le drame.
Le Posa de Christian Gerhaher appartient à la lignée des grands diseurs capables de donner sens au texte et à l’éthique du personnage. La voix est agréablement timbrée et de volume confortable, la ligne de chant soignée ; le raffinement vocal serait tout à fait complet si tous les trilles étaient soigneusement réalisés. La force morale du personnage s’impose par un charisme scénique et vocal passionnants. Cette prise de rôle est un grand succès.
Le roi Philippe peut compter lui aussi sur un immense artiste. Roberto Scandiuzzi a une vraie voix de basse, son autorité est indiscutable, et la leçon de chant ému de sa grande scène convainc comme déjà en 2005. Le lamento de la prison après la mort de Posa, qui sera repris par Verdi pour le Lacrymosa du Requiem, est magnifiquement lancé par sa voix d’airain.
Pour Eboli, le Capitole a choisi deux cantatrices. Christine Goerke lors de la soirée du 20, ne nous a pas convaincu dans la chanson du voile, ni vocalement, ni scéniquement. Il ne s’agit après tout qu’un air décoratif. Par la suite et dès le trio avec Elisabetta et Posa, elle se révèle actrice subtile comme chanteuse passionnante. Dans le trio avec Carlo et Posa elle explose véritablement comme une bombe de passion, avec une voix de falcon puissante et équilibrée sur tous les registres. Elle domine le trio de manière sidérante. Dans sa scène avec Elisabetta, le remord la submerge et son « O don fatale » est … cataclysmique. Torrent de passion reposant sur une vocalité sans faille, il laisse le public abasourdi.
Il reste à évoquer le Grand Inquisiteur de Kristinn Sigmundsson dont le timbre ingrat et la voix sonore, donnent pourtant corps à la violence sinistre du rôle. Les autres rôles sont tous admirablement distribués avec le même soin que les premiers rôles. Une mention particulière pour l’émotion alliée à la beauté du chant chez les députés Flamants lors de l’Autodafé.
A chaque instant, le chœur du Capitole fait honneur à la riche partition verdienne. Le travail d’Alfonso Caiani a porté ce chœur au sommet des maisons d’opéra.
La direction de Maurizio Benini est celle d’un grand verdien. Les tempi sont assez rapides et certaines phrases sont ciselées avec une pointe de maniérisme. Le drame avance et jamais le temps ne semble long. Il faut dire combien un travail en profondeur est possible avec un orchestre du Capitole en très grande forme, capable de nuances et de couleurs rares.
La mise en scène de Nicolas Joël est sobre, l’époque est respectée sans transposition. Les décors d’Ezio Frigerio jouent habilement avec l’exiguïté de la scène, créant un spectaculaire sentiment d’écrasement des personnages comme du public du parterre avec une énorme Christ en croix suspendu au ciel. Les costumes de Franca Squarciapino sont absolument somptueux, offrant un peu de luxe dans l’austère cour de Philippe II.
Toulouse. Théâtre du Capitole, le 20 juin 2013. Giuseppe Verdi (1843-1901) : Don Carlo, opéra en quatre actes, version de 1884 créée à Milan. Nicolas Joel : Mise en scène ; Stéphane Roche : réalisation de la mise en scène ; Ezio Frigerio : Décors ; Franca Squarciapino : costumes ; Vinicio Cheli : Lumières ; Avec, Dimitri Pittas : Don Carlo ; Roberto Scandiuzzi : Philippe II ; Christian Gerhaher : Rodrigo, marquis de Posa ; Kristinn Sigmundsson : Le Grand Inquisiteur ; Jordan Bisch : Un moine ; Tamar Iveri : Élisabeth de Valois ; Christine Goerke : La Princesse Eboli ; Daphné Touchais : Tebaldo ; Alfredo Poesina : Le Comte de Lerme; Dongjin Ahn : Un héraut royal ; Julia Novikova : Une voix céleste; Orchestre National du Capitole de Toulouse; Choeurs du Capitole, direction : Alfonso Caiani ; Maurizio Benini, Direction musicale.
Illustration : David Herrero