Quatuor Talich
Les 11 et 12 décembre 2007
Lyon, Salle Molière
3e Quatuor de Mendelssohn, 13e de Schubert, 2e de Janacek
Les Pragois et les Tchèques en général ont une noble tradition de musique de chambre ; les écouter « chanter dans leur arbre généalogique » est toujours une expérience privilégiée. Celle que vivront les auditeurs qui se joindront aux abonnés de la S.M.C. lyonnaise : trois partitions capitales du romantisme et de la modernité sont retenues par le Quatuor Talich.
L’amour de la musique et les Talich
Encore les chambrismes familiaux et mythiques ! Chez les Pragois, où l’on a la musique de
chambre – faut-il dire dans les gènes, non, ça gêne à cause de l’utilisation déterministe et répressive de la notion, dans le sang, c’est encore pis historiquement – , bref chez les Pragois, l’amour de la musique, évidemment, et tout particulièrement d’un beau son lyrique se transmet par la culture, l’écoute, et bien sûr la pédagogie. Sans doute est-ce dans la musique de chambre que ce passage s’entend de la façon la plus accomplie. Et le Quatuor à cordes Talich, fondé par Jan, le père, en 1964, a su écouter la leçon initiale. Tout en vivant de cette vie propre qui intrigue toujours quand on regarde l’histoire de chaque formation : au noyau de l’origine, généralement constitué selon le principe des affinités électives goethéennes, liberté de chacun, accidents de santé ou tout courts, nature et modalités du succès public viennent ajouter leur élément d’incertitude, parfois de surprise. Et puis, de toute façon, « avec le temps » comme chantait un certain, tout va, s’en va, se désassemble et se réassemble. Pour les Talich, devenus depuis plus de 40 ans l’un des quatuors les plus importants d’Europe (et au-delà), le nom est encore porté, et même le prénom (Jan Talich…fils), entouré de Petr Macecek 2nd violon), Vladimir Bukac (alto) et Petr Prause(violoncelle) ; les instruments eux-mêmes remontent à la légende italienne de la fin du XVIIe(2nd violon) et du XVIIIe (les 3 autres). La fidélité à la firme de disques Calliope est aussi depuis une trentaine d’années le signe d’une stable fidélité qui porte les projets de longue haleine et de haute portée, parmi lesquels brillent les intégrales de Mozart et Beethoven. Et aussi le travail qui montre « un chant dans l’arbre généalogique », dans le domaine tchèque : évident et très attendu pour Dvorak, Smetana ou Janacek, mais aussi en recherche pour le rôle dans la musique du XIXe d’un compositeur « retrouvé » comme Jan Kalliwoda.
L’éternelle jeunesse de Mendelssohn et Schubert
Le programme lyonnais demandé par la Société de Musique de chambre explore bien ces dimensions de culture élégante, subtile et frémissante. De Mendelssohn, entré dans l’éternité comme enfant puis ado prodige, l’op.13, composé à 18 ans, est sous le signe de Beethoven. Félix, qui vient d’apprendre – 1827- la mort du Maître par excellence, écrit son premier Grand Opus en référence aux trois de l’op. 130. Mais « inspiré par » ne signifie certes pas copier : si les citations beethovéniennes sont ici nombreuses – les quatuors, mais aussi les sonates et le testament de la IXe Symphonie – , l’originalité formelle et harmonique du jeune compositeur est admirable. Pour le 13e de Schubert, il fut composé trois ans plus tôt par un auteur dont le génie avait éclaté depuis dix ans, mais à l’insu des impayables « spécialistes » qui faisaient l’opinion des gens de goût, autrement les Viennois « éclairés ». Un périodique faisant autorité du côté du Prater ne commenta-t-il pas la création de ce quatuor avec la mention : « Pour un premier-né (il est exact qu’à ce moment-là, on ne savait pas qu’il y en avait eu 12 autres dans la vie prénatale de l’auteur), l’œuvre n’est pas à dédaigner. » Encore Franz avait-il avec ce 13e « beaucoup de chance », puisque les Schuppanzigh (les héritiers spirituels du quatuor beethovénien) le donnaient en public, et qu’une édition allait suivre (la seule du vivant de Schubert dans ce domaine). Le 13e a donc un jumeau, plus connu après sa mort, ce 14e dit de « La Jeune fille et la mort ». Le dramatisme n’est pas aussi immédiatement vécu dans le 13e qu’avec La Jeune Fille, mais ne reste pas non plus dans le secret. Malgré l’emprunt pour l’andante d’un thème de sa musique scénique pour Rosamunde – ce sera le surnom du 13e -, la tension, l’angoisse, au mieux le paradis perdu (le thème de l’andante, le trio du menuetto) accompagnent le voyage et constituent sa matière même, de douleur et d’héroïsme qui lasurmonte sans exhibitionnisme pathétique.
De frémissantes amours tardives
Coïncidences temporelles ? C’est un siècle plus tard qu’au cœur perpétuellement battant de l’Europe Centrale Janacek donne avec ses deux quatuors des partitions indispensables à l’histoire de l’expression musicale. Et dont l’écho avec ceux du Hongrois Bela Bartok sonne dans l’intensité d’un langage pourtant fondamentalement différent. Le Tchèque Leos Janacek aborde alors la rive de ses 70 ans ; il a attendu ce moment pour écrire la forme suprême du quatuor à cordes. C’aura d’abord été en 1923 la partition qui s’identifie dans ses mouvements, son architecture et ses ressorts intimes au roman de Tolstoï, La Sonate à Kreutzer, mais pour en dénoncer la thèse misogyne d’une punition « légitime » par jalousie masculine de l’adultère féminin. Puis en 1828, les « Lettres Intimes » referment le roman de la vie amoureuse pour Janacek : imprégné de la référence à ses propres opéras, ce 2nd et ultime quatuor exalte l’amour d’arrière automne très ardent que le compositeur vit avec Kamila Stösslova. En affirmant : « Je voudrais que mon œuvre fût aussi grande que mon affection », Janacek émet un vœu que l’audition ratifie totalement. Les délices, les tourments et tourmentes, la beauté irremplaçable du premier regard de l’amour y sont comme la synthèse d’un merveilleux opéra chambriste qui clôt magiquement l’aventure compositionnelle d’un des plus grands compositeurs de l’histoire musicale.
Quatuor Talich. Lyon, Salle Molière, mardi 11 (19h30) et mercredi 12 décembre (20h30) 2007. Franz Schubert (1797-1828), 13e Quatuor, « Rosamunde » ; Félix Mendelssohn (1809-1847), 3e Quatuor, op.13 ; Leos Janacek (1854-1928), 2e Quatuor, « Lettres intimes ». Société de Musique de chambre, information et réservation : Tél.: 04 78 38 09 09 ou www.musiquedechambre-lyon.org