Dans le cadre des Festivités de l’ÉTÉ DANSE des Ballets de Monte-Carlo, après un Gala de l’Académie Princesse Grace qui s’est tenu les 23 et 24 juin à la Salle Garnier, les Ballets de Monte-Carlo (BMC) se produisaient dans pas moins de deux créations (au Grimaldi Forum), toutes deux d’après des ballets d’Igor Stravinsky, “Pulcinella” (ré-intitulé “Les Nuls”) dans une chorégraphie du belge (flamand) Jeroen Verbruggen ; et “L’Oiseau de Feu” (renommé “Firebird”) dans une mise en pas confiée à l’espagnol Goyo Montero. On ne peut imaginer deux univers aussi dissemblables, les excellents danseurs des BMC se glissant avec autant d’aisance – comme on pouvait l’attendre d’une compagnie à la santé insolente et explosant de jeunesse – dans l’univers transgressif et déjanté du premier comme dans les volutes néo-classique du second.
Jeroen Verbruggen s’est construit à Monaco, où il a été danseur pendant dix ans dans la compagnie monégasque, poursuivant ensuite sa collaboration avec Jean-Christophe Maillot en tant que chorégraphe invité, comme c’est le cas ce soir – après “L’Enfant et les sortilèges” en 2016 ou “Massâcre” l’année d’après. Dans ses notes d’intention, le chorégraphe nous explique que “Pulcinella revêt une dimension universelle. Il montre comment le monde fonctionne, depuis la naissance qui nous rend inégaux, jusqu’à la mort qui nous réunit tous : « Mon ballet donne de la valeur à ces gens méprisés, à ces “Nuls” qui ont bien souvent une longueur d’avance sur les autres ». Cela se traduit par des danseurs transformés en “Elephant men & women”, aux corps disgracieux et bouffis, grâce à de multiples couches de coussinets rembourrés. La scénographie de Wolfgang Menardi est ici prévalente, prenant le pas sur le geste dansé, au travers d’une multiplication des artefacts (tels ces micros que les danseurs arborent dans la bouche… après avoir figuré leur sexe en érection !). Pour le reste, on reste assez admiratif de l’énergie dépensée, quand bien même souvent en vain, au rythme d’une musique parfois assourdissante qui heurte l’oreille plutôt que de la séduire, mais là aussi c’est l’effet recherché !
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Changement radical d’univers avec Goyo Montero, avec une troupe doublée (30 danseurs contre 15) par rapport à la première partie, mais surtout un univers dépouillé dans lequel le geste retrouve une grâce dont la première pièce était dépourvue. Les longs voiles aux reflets métalliques sont magnifiés par les lumières de Samuel Thery, entre lesquels se faufilent deux communautés antagoniques, celle minoritaire des “explorateurs” (8 danseurs) et celle de la “tribu” (22 danseurs), chacune étant dirigée par un(e) chef(fe) : Cristian Assis est ici Ivan, chef des explorateurs et Anna Blackwell est ici en charge de la Tribu (alias L’Oiseau de feu). Les premiers sont vêtus comme des processionnaires pendant la Semaine Sainte en Espagne, tandis que des justaucorps sous forme de peaux translucides habillent la “Tribu”. On goûte avec plaisir à la gestique ondulante et parfois sauvage du chorégraphe madrilène, comme une houle de corps soudés dont tel ou tel se détache pour s’échapper, pour mieux se refondre dans le sein maternel du groupe, à l‘instar de l’Oiseau de feu, cette « semence de la vie qui reviendra toujours quand nous en aurons fini avec nous-mêmes et que nous aurons tout détruit autour de nous ».
Plutôt classique dans ses goûts, le public monégasque adresse des applaudissements aussi timides que polis à l’endroit de la première pièce, comme il éclate en hourras et bravi pour la seconde !…
Les festivités se poursuivront avec l’une des pièces-phares du vaste corpus de Jean-Claude Maillot, “Cendrillon”, qui sera interprétée par les BMC les 18, 19, 20 juillet dans le sublime écrin de la Salle Garnier, puis la troupe s’envolera vers le non moins sublime Gran Teatre del Liceu de Barcelone pour y performer COPPEL-I.A, là aussi une chorégraphie parmi les plus fameuses du directeur des BMC !
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CRITIQUE, ballet. MONACO, Grimaldi Forum, le 30 juin 2023. STRAVINSKY : deux Créations d’après “Pulcinella” et “L’Oiseau de feu”. Les Ballets de Monte-Carlo / Jeroen Verbruggen / Goyo Montero. Photos © Alice Blangero