mardi 2 juillet 2024

CRITIQUE CD, événement. Egidio DUNI : l’Isle des foux, recréation. Almazis, Iakovos Pappas, direction (1 cd Maguelone)

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Sur un livret d’Anseaume, inspiré du génial Goldoni, l’opéra L’isle des foux d’Egidio Duni marque l’histoire du genre opéra comique des années 1760 ; l’écriture foudroie véritablement par son sens des contrastes, sa caractérisation plus qu’efficace, portraiturant une cohue de fous, tous d’un tempérament singulier, prétexte ici à une délectable galerie de portraits. Chacun,e exprime en réalité les caractères d’une humanité particulièrement emblématique, moins décérébrée qu’il n’y paraît…

 

Chaque fou incarne une identité humaine plus qu’estimable, qui n’a de « fou » que le nom… Le gouverneur de l’île qui les rassemble, découvre (avec le spectateur) combien ces « dérangés » déclarés, sont a contrario raisonnés, d’une légitime et juste revendication : souhaitant recouvrir leur liberté et rentrer chez eux.

 

 

La notice rédigée par Iakovos Pappas, pertinente et argumentée comme à son habitude, en expose enjeux et défis pour les interprètes : tout en soulignant la finesse psychologique du livret, le chef, fondateur de l’ensemble Almazis décèle la construction dramatique en « triangles » : d’abord, au sein de ces individualités hautes en couleurs (et en caractère : excellente justesse mordante de Spendrif), le premier cercle concerne Sordide (et sa cassette amoureusement couvée), Fanfolin (qui saura la confier à Prodigue), Prodigue (lequel sait astucieusement en dépenser le contenu…!).

Dans cette chaîne déjantée, Almazis se délecte à exprimer chaque mécanique psychique ; aux hommes correspond une colonie de femmes tout aussi délirantes et fantasques : dont Folette (impeccable Elizabeth Fernandez) et Glorieuse, occupées à séduire le gouverneur Fanfolin… sans omettre Nicette, orpheline séquestrée dont la tutelle est confiée à Sordide, jeune beauté dont tombe amoureux… Fanfolin.

Les instrumentistes excellent à caractériser chaque air, autant de charges psychiques – cor, hautbois et cordes au chant aussi délirant et expressif, fantasque et fantaisiste, que la partie de chaque chanteur. Du reste les solistes sans exception, savent trouver un juste équilibre entre délire dramatique et justesse du chant, incarnant d’authentiques individualités dont l’humanité, derrière chaque surenchère, bouleverse par sa vérité voire sa sincérité. D’ailleurs, le sentiment d’amour qui surgit de façon inattendue, entre Fanfolin et Nicette (le seul personnage qui évolue en cours d’action, de jeune oie trop innocente à femme astucieuse…), jaillit comme un joyau inouï qui rétablit tout le drame dans une vérité émotionnelle qu’Almazis sait exprimer et ciseler.

A travers l’action de Fanfolin, gouverneur confronté à une communauté de méprisés dont il doit distinguer les esprits sains de ceux irrécupérables, se dessine en miroir, la considération de ce XVIIIè des Lumières vis à vis des « foux » désignés. Tout en épinglant en façade ces 6 « foux » magnifiques, Duni et Anseaume ont saisi toute la tendresse fraternelle d’un Goldoni qui a parfaitement compris, mesuré, identifié ainsi la réalité psychologique humaine. La folie est un prétexte ; il offre un redoutable filtre pour dénoncer, révéler les travers les plus emblématiques du tempérament humain, dont au premier chef, l’égoïsme, la duplicité, la vénalité maladive de Sordide (et son trésor chéri), d’ailleurs piégé par les femmes, fines manipulatrices (trio final du I : Colin-maillard d’une cocasserie comique irrésistible).

Musicalement, le rythme des airs enchaînés fait merveille ; Iakovos Pappas ouvrage le plus beau continuo possible, habité, nuancé (capable d’une ineffable tendresse comme dans la scène du faux sommeil, entre Nicette et Fanfolin au II). Le jeu parodique est aussi finement réalisé, comme l’air de Follette au II, où Duni glisse une référence au modèle du genre : Platée de Rameau. D’ailleurs, le profil de Follette en vraie meneuse des foux, se précise au fur et à mesure.

L’œuvre sous couvert d’une action délurée, sous le masque de la folie proclamée, touche a contrario par sa justesse ; musicalement, Almazis en dévoile l’intelligence dramatique, la richesse et la subtilité. Duni brille par sa virtuosité et son éloquence ; en réalité les interprètes n’en sont pas à leur premier Duni : ils connaissent comme peu les ressorts et trésors du répertoire concerné ; le geste de tous les musiciens sans exception, éclaire ce jeu des registres, entre folie présumée et vérité des situations. La finesse et la subtilité, entre délire et vertiges poétiques, que réalise Almazis et son bouillonnant chef Iakovos Pappas se révèlent superlatifs, comprenant tout ce que Duni, en génie baroque, a su apporter au théâtre des affects. Superbe recréation qui méritait bien cet enregistrement.

 

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CRITIQUE CD, événement. Egidio DUNI : l’Isle des foux, recréation. Almazis, Iakovos Pappas (direction) – 1 cd Maguelone, enregistré en janvier 2024 – CLIC de CLASSIQUENEWS été 2024. Coproduction ALMAZIS / LA GRANDE FUGUE.

 

LIRE aussi notre présentation annonce du cd événement L’Isle des Foux de Duni par Almazis : https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-egidio-duni-lisle-des-foux-ensemble-almazis-iakovos-pappas-1-cd-maguelone/

L’enregistrement prolonge la recréation représentée au dernier Gstaad New year Music Festival le 29 déc 2023 / Lire notre critique ici :
https://www.classiquenews.com/critique-opera-gstaad-new-year-music-festival-rougemont-le-29-dec-2023-duni-larcifanfano-recreation-almazis-iakovos-pappas/

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