Le compositeur Fabien TOUCHARD publie dans ce programme ambitieux et très personnel, 12 Études complétées par 2 « Limbes » (qu’il joue lui-même au piano) – conçues entre 2010 et 2022, les partitions ainsi combinées forment une totalité qui fait sens dans leur enchaînement ; ce sont le fruit des 12 années d’un questionnement continu sur le sens et les ressources du clavier.
La quête d’une résonance organiquement cohérente explique peut-être que le cheminement s’achève avec la n°12, la plus longue, la plus tonale aussi, qui dans le sillon de Chopin, conçue comme une ample arche postromantique, cite également le titre de son album précédent (intitulé « Littoral »). Le compositeur interroge la forme et le fond pianistiques, se confrontant aux auteurs avant lui, fondateurs dans la littérature pour piano, tels Debussy, Brahms, Ligeti, Liszt, Scriabine… ; il invoque aussi la mémoire d’interprètes tout aussi significatifs tels Horrowitz ou Art Tatum. Dans l’urgence fiévreuse, dans des crépitements qui questionnent et emmènent ; ou dans l’évocation d’un temps recomposé qui fouille l’intime et le ténu, Fabien TOUCHARD varie les styles, les approches, les durées, les structures comme les signatures sonores. Le cycle s’affirme par sa diversité et sa caractérisation ; toujours au service d’un imaginaire qui repousse les frontières et le cadre de l’essor poétique. 6 pianistes ont répondu à son appel, et à ses côtés, expriment les champs intérieurs de son inspiration protéiforme riche en ruptures et surprises ; par ordre d’apparition au cours du cycle : Flore Merlin, David Kadouch, Camille Belin, Philippe Hattat, Orlando Bass (qui joue 4 Études), Guillaume Sigier…
Sous les doigts de Flore Merlin qui ouvre le bal, l’étrangeté aérienne et liquide (qui s’inscrit dans l’atmophérisme d’un Debussy), saisit immédiatement dans l’Étude n°1 : « Dans le vent » – la séquence accumule plusieurs séries de notes percussives comme les frappes d’un gamelan ou d’un carillon, jusqu’aux ultimes frappées, impérieuses. On note une même étrangeté dans l’Étude n°2 « Dancing Lillies » par David Kadouch ; mais la tension est délivrée comme un songe distancié où flotte comme une danse évanescente ; le son se répand en vapeur immatérielle, en gouttelettes qui semblent ruisseler selon un schéma qui va croissant puis s’efface dans un murmure final…
Les Études n°3 et n°4 – « Vers l’abîme », « Tiger Fugue » font rupture par leur (sur)activité : : surenchère intranquille à l’équilibre menacé, instable comme en panique ; jusqu’à la transe…pour la n°3 ; fugacité électrique, d’après Art Tatum pour la n°4 ; deux courses à l’abîme que prolonge plus loin la n°6, et ses répétitions qui virent à l’obsession enfiévrée (« Ébauche de vertige »). Beau contraste avec « En suspens » (n°5), inspiré de Ligeti, qui dissout le temps et l’espace, et semble être à l’écoute de l’infiniment ténu qui fait surgir les contines d’autrefois, pour disparaître dans le mystère final. « Licht » (n°7) est d’une ductilité souple aux arabesques hypnotiques, dans l’esprit d’un Scriabine omnubilé par la flamme ; à la fois, intense, évanescente, toujours fascinante ;
Très incarné par le jeu précis, narratif d’Orlando Bass, la n°8 (« Battaglia ») est de fait un bataille entre deux séquences qui alternent et se répètent ; une séquence finale et conclusive qui concentrent le lyrisme des concertos de Rachmananinov ; et un grondement sourd, caverneux de plus en plus menaçant ; jusqu’à la fin comme une danse fugace, légère, crépitante. Fabien Touchard ponctue à son tour le cheminement ainsi, en jouant deux « Limbes ». Premières limbes favorise l’indicible et le suggestif, sur des nappes harmoniques, leur résonance dans la table du piano comme des énigmes brumeuses, totalement énigmatiques.
Leur succède « In Hora Mortis » (Étude n°9) qui est structurée en accords faussement décousues qui suivent un ample crescendo, comme une plongée dans l’espace ; tandis que « Miroirs de feu » (n°10) se fait crépitements continus comme une matière en transformation – convoquant les mannes de Liszt, comme si le Romantique virtuose et délirant, était sous les doigts du même Orlando Bass, en proie à une lévitation mystique.
Rompant avec cet embrasement sonore, « Secondes limbes » poursuit cette exploration dans un espace indéterminé dont une série de notes perlées, aiguës dit l’envoûtant chant mystérieux. Les deux dernières Études sont des plus expressives.
L’Étude n°11, en hommage à Olivier Grief, « Still I rise… » résonne dans son début, comme une marche schubertienne, une errance pleinement assumée, dont les résonances graves jalonnent l’inéluctable avancée. Aboutissement du parcours, l’Étude n°12 est la plus longue et dans le sillon de Chopin : « Littoral (In Paradisium) : Guillaume Sigier l’aborde comme une arche puissante et continue vers les cimes dont le jeu ascensionnel dans l’esprit d’une harpe magique, marque les marches d’une élévation dans la lumière ; elle offre au cycle entier, une somptueuse apothéose, d’une épaisseur symphonique.
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CRITIQUE CD événement. Fabien TOUCHARD : 12 études pour piano (1 cd Hortus) / Orlando Bass ; Camille Belin ; Philippe Hattat ; David Kadouch ; Flore Merlin ; Guillaume Sigier ; Fabien Touchard, piano – enregistré à Meudon, avril 2023. Durée : 1h07mn. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2024.
Plus d’INFOS sur le site de Fabien Touchard, compositeur et pianiste : http://www.fabientouchard.fr/
Sur le site de l’éditeur HORTUS : https://www.editionshortus.com/catalogue.php
LIRE aussi notre présentation /annonce du cd 12 Études pour piano de Fabien TOUCHARD (1 cd éditions Hortus) : https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-fabientouchard-etudes-pour-piano-camille-belin-flore-merlin-orlando-bass-philippe-hattat-david-kadouch-guillaume-sigier-fabien-touchard-1-cd-hortus/
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