Un tempérament qui aime les défis et prend un plaisir à les relever. C’est l’impression que laisse ce nouveau récital plutôt ambitieux ; quand d’aucun préfère dédier aux seuls 24 Préludes de Chopin un disque entier, le pianiste canadien, quasi trentenaire (né en mars 1995), JAN LISIECKI quant à lui en prépare l’écoute et la sensible compréhension par une série de pièces précédentes (également Préludes) aussi diverses qu’exigeantes. Le thème et la forme du Prélude offre à l’interprète une zone de confort et de défis parfaitement maîtrisée. Ce préambule en 12 pièces préalables (de Bach à Gorecki, de Messiaen à Rachmaninov) offre le moyen de mesurer les resources et qualités d’un jeu charpenté et nuancé qui s’affirme en particulier chez Messiaen (3 Préludes) où se construit et s’épanche un climat suspendu à la fois secret et fluide, entre mystère des révélations et jaillissement sonore primitif au chant continu très inspiré…
L’architecture et le souffle de Rachmaninov (3) s’affirme avec une assiduité à la fatalité éperdue (à notre goût ici trop appuyée) ; avant que la syncope paniquée de Goreki (2 Préludes, 9 et 10), assument et orchestrent un déconstruction en règle, celle d’une mécanique de plus en plus déglinguée qui permet d’enchainer merveilleusement avec le Prélude de JS BACH (11, BWV 847) à très vive allure, comme brûlé en une urgence sans respiration. Puis que l’on aime ensuite, l’ample respiration du second Prélude plein de noblesse large de Rachmaninov, aux traits incandescents, aux morsures, aux fulgurances somptueusement maîtrisés. Du bien bel ouvrage.
Les 24 Préludes de Chopin sont de la même eau : intenses, vives, hautement investies, palpitantes même. La solide technique du pianiste, la clarté de son approche permettent un parcours captivant, toujours intelligemment renouvelé selon les épisodes, d’une belle évanescence (n°2 – Lento) dont le flux ténu sombre dans l’autre monde, aux piani d’une poésie qui s’estompe ; la fugacité coulante enivre dans les n°5 et 7 – notés allegro molto et andantino, aussi courts que précis et qui passent comme un songe ; le n°6 (18) captive par son climat suspendu, étiré, interrogatif, comme les n°9 (Largo) et 15 (Sostenuto) où s’affirment vélocité, souplesse, rondeur et souffle… le n° 16 (Presto con fuoco) exprime toutes les épreuves, les obstacles d’une ascension de la montagne, surmontés par une irrésistible énergie. Enfin le n°20 (Largo) dessine un portique impressionnant qui saisit lui aussi par la profondeur de ses nuances pianissimi.
Cependant que le 24è (plage 36) enivre par sa vitalité sans effets et un sens de la progression dramatique qui séduit immédiatement. Ce disque est pour le pianiste assurément un jalon dans la maturité : le jeu solide, la clarté et l’éloquence d’une virtuosité sans dilution, cet équilibre permanent entre détails, nuances et accents dans le drame, mais sans effets creux ni épanchement douteux, font la valeur du programme ainsi réussi.