Des décennies après son intégrale superlative dédiée aux madrigaux de Monteverdi – vaste épopée musicale qui aura marqué l’histoire de la révolution baroqueuse, Rinaldo Alessandrini et ses excellents solistes du Concerto Italiano (créé en 1984) abordent ici un suiveur de Claudio, le bergamasque Giovanni Legrenzi (qui fut après le Maître, comme lui, directeur de la Capella Marciana à Venise). Immédiatement, se distingue cette perfection de l’articulation libre et naturelle qui individualise chaque ligne / chaque partie ; et qui fait ainsi des Motets de Legrenzi, dans cette intelligence linguistique, un prolongement direct des Madrigaux monteverdiens.
Motets suaves du Vénitien Legrenzi
Voilà qui accrédite le geste vocal des interprètes dans un genre qui semble perpétuer leur éloquente réussite madrigalesque. Obligatoirement en latin, donc associés au service liturgique, le Motet revêt diverses réalités, selon la nature du texte : liturgique donc (bibliques ou non, célébrant les Saints et la Vierge, ….), poétique, dramatique voire opératique ou purement littéraire… Legrenzi aborde le genre selon les étapes d’une carrière riche et mouvementée – laquelle a toujours tourné autour de Venise, cité convoitée entre toutes… : en 1669, il concourt pour obtenir le poste de maestro di cappella à la cathédrale de Milan ; mais ses œuvres sont jugées, inabouties et trop longues.
Alessandrini et ses passionnants chanteurs ressuscitent ici un choix de 13 motets à plusieurs voix (jusqu’à 4 et 5) , en stile moderno, représentatifs des recueils de 1655 et 1662. Emblématique de la puisante édition vénitienne, Legrenzi a édité pas moins de 15 Livres d’œuvres dont 4 dédiés au genre du motet. Le programme regroupe plusieurs sources et périodes : 4 derniers motets a 4 du recueil dédicacé à Alessandro Farnese (Harmonia d’affetti devoti opus 3). En 1645 alors qu’il démissionne de sa charge d’organiste à Bergame (Santa Maria Maggiore), Legrenzi est déjà à Venise, où il publie en 1660 le recueil Sentimenti devoti espressi con la musica a 2 e 3 voci ; il est alors maestro di cappella à l’Academia dello Spirito Santo de Ferrare ; autre source de ce programme inédit : l’opus 7 « Complete con Lettanie & Antifone della Beata Vergine a 5 voci dédié à son protecteur le marquis Ippolito Bentivoglio qui fournit ainsi 4 motets et Litanies dédiés à la Vierge.
Dès 1670, Legrenzi occupe enfin une fonction à Venise (Derelitti, jusqu’en 1676), aux Mendicanti (1676-1683) ; devenant simultanément à partir de 1681, vice maestro di cappella à San Marco avant d’occuper le poste suprême à la mort de Natale Monferrato… Legrenzi publie alors son ultime Livre de motets à San Marco: Sacri musicali concerti a 2, 3 voci, dédiés au duc de Modène Francesco II d’Este : ainsi l’exceptionnel duo basse et soprano de « Quis ascendit in montem sanctum Sion ? / Qui monte ainsi sur la montagne sainte de Sion ? ». On retrouve les qualités qui avaient assuré à leur intégrale des Madrigaux de Monteverdi, son éclat superlatif : souplesse et clarté des timbres, articulation et langueur, lisibilité polyphonique et cette esthétique qui rétablit le geste humain, sa respiration, son incarnation juste et nuancée pour chaque intention du texte. La célébration hagiographique des Saints (Gaetan par exemple), linguistique et dramatique, ou la dévotion des hymnes mariaux (comme le dernier n°13 : « Salve, Regina, Mater misericordia »), entre aspirations implorantes et ferveur extatique, s’en trouvent comme éclairées de l’intérieur, avec une énergie et une franchise à la fois individuelle et collective de premier plan. Superbe révélation des Motets de Legrenzi.
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CRITIQUE CD événement. LEGRENZI : Mottetti – Concerto Italiano / Rinald Alessandrini – 1 cd Naïve – enregistré à Rome en juil 2019 – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2023.