lundi 1 juillet 2024

CRITIQUE, comédie-ballet. GSTAAD New Year Music Festival. Rougemont, le 2 janvier 2023. Molière / Lully : Les Amants magnifiques. Almazis, Iakovos Pappas.

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Dans l’église de Rougemont, le Gstaad New Year Music festival « ose » le baroque lyrique Grand Siècle : une immersion inédite qui dévoile la richesse des arts du spectacle propre au jeune Louis XIV, lequel y danse de fait sa dernière chorégraphie en « Roi danseur ».

 

 

Les Amants magnifiques sont une comédie-ballet de 1670. C’est aussi l’occasion de rendre hommage à Molière [pour les 400 ans de sa naissance en 2022] lequel signe le texte de la comédie amoureuse, sensuelle, précise, mordante aussi à l’endroit des courtisans, – arrogants, suffisants voire menaçants, parfaitement caricaturés dans les personnages des deux princes soupirants (Iphicrate et Timoclès) qui se disputent les faveurs de la princesse Ériphile.
La musique de Lully n’est pas encore celle de la tragédie en musique bientôt fixée 3 ans plus tard, en 1673 avec Cadmus. Le genre est une mosaïque de disciplines assemblées, non réellement fusionnées : les musiciens chanteurs et instrumentistes réalisent les intermèdes ; les comédiens jouent les situations du drame ; les danseurs assurent l’essor incontournable à la cour de France, de la danse.

 

Molière et Lully s’invitent au Gstaad New Year Music Festival

Spendeur de la comédie-ballet à Rougemont

 

Almazis dirigé par Iakovos Pappas / Hubert Hazebroucq, danseur  © Patricia Dietzi

 

 

Le chef et claveciniste Iakovos Pappas pilote cette résurrection marquante qui éclaire les spectacles royaux en France avant l’opéra français. Des comédiens chanteurs assurent et les scènes de l’action théâtrale [dans une version resserrée synthétique] et les intermèdes musicaux qui prolongent et enrichissent les séquences purement théâtrales.
Ce travail d’équipe restitue à l’envi la richesse d’un spectacle hétéroclite dont la cohésion reste fragile. Mais le chef d’Almazis veille au grain : pilotant une approche qui réunit les qualités que nous lui connaissons : précision, expressivité, souci du texte autant que des nuances instrumentales ; d’autant que parmi ses fidèles partenaires, s’affirme à nouveau le premier violon incisif et souple d’Augustin Lusson, souvent doublé par flûte ou hautbois (Gaëlle Lecoq, Nathalie Petibon).

L’action déploie les éléments familiers à l’imaginaire poétique de l’époque : sommeil, grotte, liens amoureux, enfin, malgré la petitesse haineuse et comminatoire des soupirants éconduits, l’apothéose du courage…. Les composantes du futur opéra français sont déjà là et même de l’opéra comique puisque le théâtre parlé a, aux côtés de la musique, toute sa place.
La pudeur morale de Sostrate éclaire la scène ; élégant contraste d’un homme humble qui reste à sa place, avec les deux princes pleins de morgue ridicule (saluons l’intelligibilité du contre-ténor Nicoals Ziélinski en Iphicrate dont l’éloquence des textes parlés donnerait presque une épaisseur humaine à son personnage) ; Eriphile la princesse courtisée (excellente Elizabeth Fernandez, partenaire fidèle des recréations opérées par le chef) et sa mère Aristione [Michèle Larivière très inspirée par le texte] sculptent le verbe à la fois héroïque et tendre de Molière ; tandis que pour chaque intermède de Lully, – les chanteurs (Cécile van Wetter, seconde dessus avec Elizabeth Fernandez ; le contre-ténor Cecil Gallois qui incarne l’astrologue, autre figure tout à fait suffisante et ridicule ; le ténor Christophe Crapez, les barytons basses Till Fechner et Ladu Sergio)… tous aguerris au défi de la déclamation en musique assurent avec aplomb et précision la verve et l’onirisme de chaque séquence. L’évocation des tableaux pastoraux et amoureux ressuscite la poétique ovidienne et solaire propre au goût du jeune Louis XIV, lequel établira sa cour à Versailles 12 ans plus tard (1682). A l’époque des Amants Magnifiques, Versailles n’est qu’un chantier en devenir. De sorte que c’est dans le spectacle et les fastes de la Cour (dont la comédie-ballet) que s’affirment, avant le Château de Versailles, le prestige et le raffinement souhaités par le Roi-Soleil.

 

 

Défricheur de perles rares, stimulé par le défi d’en restituer autant la saveur que le sens profond, Iakovos Pappas relève le défi d’une action croisée, dans un format réduit et équilibré : si la pièce originelle dure plus de 3h, cette version d’1h20, n’affecte en rien la compréhension de l’action, ses enjeux dramatiques ni sa justesse psychologique. D’autant qu’en complément du théâtre et des chants, le chef d’Almazis a aussi sollicité le concours d’un danseur (Hubert Hazebroucq), dont la performance (et les costumes très évocatoires) rétablit à propos, l’essor du geste chorégraphique et la respiration spécifique du corps en mouvement. Le spectacle total et plutôt réussi.

 

 

 

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CRITIQUE, comédie-ballet. GSTAAD New Year Music Festival. Rougemont, le 2 janvier 2023. Molière / Lully : Les Amants magnifiques. Almazis, Iakovos Pappas. Photos : © Patricia Dietzi

 

 

Plus d’infos sur le site du GSTAAD NEW YEAR Music Festival 2022 / 2023 :

https://gstaadnewyearmusicfestival.ch/2022/07_les_amants_magnifiques.html

Direction artistique : Princesse Caroline Murat

 

 

 

 

 

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Approfondir : précédents articles dédiés à Iakovos Pappas / Almazis
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