Après Funny girl en 2019 au Théâtre Marigny, la musique de Jule Styne (1905-1994) fait son retour à Nancy, puis Paris, pour la création française de l’une des plus grandes réussites du genre, Gypsy (1959). On ne peut une fois encore que regretter l’absence d’un lieu permanent dédié au répertoire de la comédie musicale dans la capitale, comme ce fut le cas dans les années 2000 au Théâtre du Châtelet, sous la direction de Jean-Luc Choplin. Ce dernier assure aujourd’hui la programmation du Lido2, où plusieurs spectacles sont montés avec succès depuis deux ans (voir notamment A Funny Thing Happened on the Way to the Forum de Stephen Sondheim, en 2023).
Il faut donc se tourner vers la Philharmonie de Paris, dont la vocation n’est pourtant pas de monter des spectacles avec mise en scène, pour découvrir l’un des chefs d’oeuvre de Styne, au style jazzy étourdissant d’énergie rythmique, faisant valoir un sens du swing aussi cuivré que festif. Pour autant, le chef britannique Gareth Valentine sait faire ressortir une myriade de nuances dans les parties apaisées, afin de donner ses lettres de noblesse au genre, bien aidé en cela par un Orchestre de chambre de Paris en grande forme. On n’imaginait pas une telle affinité de cette formation avec cette musique enjouée et virevoltante. L’intense ovation finale réservées aux instrumentistes, présents sur scène pendant toute la soirée aux côtés des chanteurs, ne trompe pas sur la qualité décisive de l’accompagnement, à même de magnifier les qualités d’écriture de l’ouvrage. On se réjouit également de retrouver les dialogues finement ciselés de Stephen Sondheim (alors en début de carrière, après la réussite de West Side Story, en 1957) et légèrement écourtés par Agathe Mélinand. On passe aisément des dialogues en français aux numéros musicaux conservés en langue originale, avec des comédiens chanteurs aguerris à cette double exigence.
Le livret écrit par Arthur Laurents surprend tout aussi positivement, en proposant un récit très actuel, qui raconte la quête éperdue d’une mère pour rencontrer le succès artistique par procuration : n’hésitant pas à faire travailler ses deux filles dès leur plus jeune âge, dont Louise (future Gypsy), cette mère tyrannique et hystérique fascine par son énergie jusqu’au-boutiste, faisant d’elle le rôle central de l’ouvrage. Bâti sur les mémoires de l’artiste burlesque Gypsy, connue aux Etats-Unis dans l’entre-deux-guerres pour ses talents de strip-teaseuse, cette comédie musicale constitue un biopic toujours passionnant à suivre dans ses moindres péripéties, des périodes initiales de galère aux scènes de cabaret savoureuses en deuxième partie, grâce à la musique délicieusement chaloupée de Styne.
Il fallait certainement une actrice hors norme pour endosser le rôle omniprésent de la mère abusive, ce que Natalie Dessay (Rose) relève haut la main : l’abattage scénique de la soprano reste un modèle du genre, qui compense quelques imperfections au niveau vocal, du fait d’une tessiture peu portée sur le grave. Les notes sont ainsi peu tenues, mais la Française assure l’essentiel, du fait de son formidable métier. On retrouve à ses côtés celle qui est également sa fille dans la vie, Neïma Naouri (Louise), qui fait valoir une jeunesse vocale rayonnante, aux phrasés admirables de raffinement. Medya Zana (June) n’est pas en reste dans la facilité et la souplesse des transitions, autour d’un joli brio scénique. On aime aussi le timbre profond de Daniel Njo Lobé (Herbie), même si l’interprétation est plus raide en comparaison. Rien de tel pour le superlatif trio des Hollywood Blonde, mené par une Barbara Peroneille, très en verve.
La mise en scène de Laurent Pelly, dont c’est là la première incursion dans la comédie musicale américaine, se joue des contraintes scéniques de la Philharmonie (pas de possibilité de décors) en mettant en avant les corps, des chorégraphies endiablées de Lionel Hoche aux éclairages baignés de pénombre de Marco Giusti. La carte de la finesse est toujours privilégiée, tout en donnant à l’alternance des saynètes une vitalité bienvenue, même si on aurait aimé une utilisation de la vidéo plus affirmée pour figurer les différents lieux. Quoi qu’il en soit, il faut aller voir ce spectacle merveilleux de bonne humeur, qui sera repris à Luxembourg, Caen ou Reims (dates non encore annoncées).
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CRITIQUE, comédie musicale. PARIS, Philharmonie, le 18 avril 2025. STYNE : Gypsy. Natalie Dessay (Rose), Neïma Naouri, (Louise), Medya Zana (June), Daniel Njo Lobé (Herbie), Antoine Le Provost (Tulsa), Barbara Peroneille (Mazeppa, Hollywood Blonde), Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, Orchestre de chambre de Paris, Gareth Valentine (direction musicale) / Laurent Pelly (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra de Nancy les 1er et 2 février, de la Philharmonie de Paris du 16 au 19 avril 2025. Crédit photo © Jean-Louis Fernandez