Remarquable lecture, carrée, détaillée du directeur musical Sascha Goetzel dans l’une des symphonies les plus ambitieuses et personnelles de Gustav Mahler. Souvent surnommée « symphonie du destin », la 5è mahlérienne (1902) saisit par la violence des forces en jeu : chaos et tensions d’une âme pas vraiment dépressive mais souvent clairvoyante sur son expérience de la désillusion ; et surtout, dans les deux derniers mouvements (sur les 5 au total), miracle inespéré lié à sa rencontre avec celle qui allait devenir son épouse adorée… Le conflit, un balancement existentiel se développe ici sans mesure, explorant aussi à l’échelle de l’écriture orchestrale, des sommets jamais atteints avant lui.
Outre son implication constante, le chef viennois, directeur musical de l’ONPL Orchestre National des Pays de la Loire, ajoute des respirations justes et bienvenues, des nuances aussi intenses que furtives qui structurent toute la vision. Il ajoute à la fureur outrageuseement projetée, cette dose d’élégance toute … viennoise qui colorant la ligne des cordes [violons], réalise un délectable contraste avec la morsure et l’assaut des cuivres.
La clarté polyphonqiue réactive à chaque séquence la formidable énergie de l’écriture ; ce tourbillon constant qui requiert la tension de tous les instruments ; où chaque pupitre compose un plan distinct et simultané produisant le grand chaudron orchestral qui est à la fois expression de l’intime et respiration …cosmique. Le propre de chaque opus Mahlérien étant d’unir de façon vertigineuse, les misères les plus triviales d’une vie terrestre et le souffle [épique] du cosmos. Comme si Gustav pour affronter le fatum s’obligeait mais avec bénéfice, à trouver l’écho de sa souffrance mortelle dans la constellation mobile des planètes… Cette aspiration personnelle qui tend à l’universel réactive l’élan beethovénien auquel il apporte le mouvement des astres. Mahler ne peut s’exprimer sans faire rugir l’Orchestre, échafauder des tempêtes spectaculaires, en réalité rebattre les cartes des cieux. C’est bien ce que nous écoutons ce dimanche, avec d’autant plus d’acuité auditive que le formidable auditorium du Centre de Congrès à Angers, le permet.
La 5ème de Mahler
par l’ONPL et Sasha Goetzel
Fureur outrageusement énoncée,
océan de plénitude apaisé…
Bouillonnement et convulsions, déflagration et combat dans les 3 premiers mouvements, expression des épreuves et défis qui n’ont rien épargné au compositeur qui se dresse éprouvé mais déterminé face au destin… S’affirment ainsi tout à tour les premières visions fantastiques, terrifiantes du premier ; le maelstrom implosif du second ; la vigueur implacable du Scherzo.. Jusqu’au miracle du 4ème mouvement « Adagietto, sehr langsam », réservé aux seules cordes. Océan de plénitude apaisée qui caresse et enveloppe dans cette volupté amoureuse qui scelle la rencontre avec celle qui allait devenir son épouse, Alma.
L’énergie et l’attention portée aux équilibres surtout entre cordes et cuivres façonnent une lecture très engagée, affirmant au delà des conflits et obstacles, l’indéfectible determination du héros. D’un bout à l’autre se distingue le ruban souple des cordes, somptueuses et enivrées sans désemparer. La construction se précise au cours du concert et éclaire de fait, la texture conflictuelle des premiers mouvements qui contrastent fortement avec le sublime 4e épisode, totalement hors temps, épuré, suspendu, aussi évanescent que radical dans l’expression de la passion. La direction de Sascha Goetzel étire le temps musical au delà des mondes connus, réparant ce temps heurté, syncopé, convulsif qui s’est affirmé précédemment sans commune mesure. Le vertige produit est saisissant.
Le chef est totalement investi, s’ingéniant sans compter : sollicitant avec une attention constante chaque pupitre : les vertiges introspectifs des cordes ; l’appel martial trompettes, les cors aussi impérieux que distants et délicieusement lointains ; surtout les bois, aux alliages somptueux qui forment si typiquement la signature de Mahler (flûtes, hautbois, clarinettes, bassons,…).
Magdalena Kozena,
souveraine, enchanteresse
En première partie, la grâce et la souplesse comme la profondeur sont d’emblée opérantes sur la scène du Centre de congrès d’Angers… Le somptueux mezzo de Magdalena Kozena incarne chaque caractère des 5 Rückert-lieder (1901-1902) entre équilibre, détente, respiration … ainsi, dans une parure orchestrale idéalement dimensionnée, l’allure printanière du II dont l’esprit pastoral comme les thèmes instrumentaux rappellent le finale de la symphonie n°4 ; le désespoir du III ; sans omettre le souffle éperdu, distancié du IV (« Ich bin der Welt… »), aspiration vertigineuse dont le rêve extatique, cette expression d’une immobilité voluptueuse absolue, renvoie directement à l’Adagietto de la 5ème. Bel effet de correspondance qui est l’indice des programmes plus que réussis… exaltants.
Rares dans l’Hexagone, les orchestrre capables de jouer et défendre avec autant de conviction un tel programme Mahler. Heureux ligériens qui pourront écouter ce fabuleux programme « Hymne à la vie », les 12 et 14 mars, à Nantes (Cité des congrès) puis La Roche sur Yon (le Grand R) / infos et réservations ici : https://onpl.fr/concert/hymne-a-la-vie-la-voix-de-magdalena-kozena-met-mahler-a-lhonneur/
Photo © studio CLASSIQUENEWS.TV / PA PHAM
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CRITIQUE, concert. ANGERS, Centre de congrès, le 10 mars 2024. GUSTAV MAHLER : Rückert-lieder (Magadalena Kozena, mezzo-soprano), Symphonie n°5. Orchestre National des Pays de la Loire / ONPL. Sascha Goetzel, direction.
