samedi 19 avril 2025

CRITIQUE, concert. BOULOGNE-BILLANCOURT, La Seine Musicale, le 25 sept 2024. SCHUMANN : Symphonie n°4. CHOPIN : Concerto pour piano n°1 (Lucas Debargue), INSULA ORCHESTRA, Laurence Equilbey (direction)

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Bassons et cors instables mais rugueux, expressifs, très caractérisés… d’une fragilité captivante en réalité. L’apport des instruments historiques permet ce format sonore et cette intensité des timbres spécifique qui renouvelle totalement notre approche des œuvres, tout en produisant, – comme c’est souvent le cas des baguettes aussi affûtées que celle de Laurence Equilbey, le sentiment irrépressible de jaillissement au moment du concert. Toutes ces qualités se déploient ce soir d’abord dans le chant intérieur et tendre du Concerto de Chopin auquel le jeu carré, droit du pianiste invité, Lucas Debargue apporte une clarté continue, surtout dans le premier mouvement.

 

 

Laurence Équilbey, Lucas Debargue et Insula Orchestra à la Seine musicale au moment des saluts © classiquenews 2024

 

 

De son côté l’orchestre de Laurence Equilbey affirme nervosité et transparence, dialoguant subtilement avec le clavier certes attendri de Chopin mais aussi prompte à rugir et conquérir dans un esprit…. Beethovénien.
En mi mineur, l’opus 11 de Chopin est une partition de jeunesse, parfois maladroite dans l’orchestration mais emblématique d’une hypersensibilité et d’un don de mélodiste aigu que Chopin maitrise dès l’adolescence. L’auteur n’a que 20 ans lorsqu’il le crée à Varsovie en octobre 1830 lors d’un concert qui reste son dernier en Pologne…
L’Allegro maestoso affirme une ampleur un souffle presque guerrier qui n’est pas sans rappeler l’opiniâtreté d’un Beethoven (et aussi son affirmation rythmique). Le mouvement central (Romance) immerge dans la féerie mélancolique de Chopin, préfigurant l’atmosphère des Nocturnes à venir ; de fait, les interprètes, soliste, orchestre et cheffe suggère tout en allusion maîtrisée, ce rêve printanier qu’illumine et fait scintiller un clair de lune… (selon Chopin lui-même dans une lettre explicative). Comme un songe murmuré, la main droite énonce une série de phrases suspendues, d’une rondeur élégiaque … bellinienne. Même fusion et complicité pour la Cracovienne, danse aux rythmes pointés qui conclut le Concerto comme un couronnement vif et sanguin.

La seconde partie du concert est plus encore enthousiasmante car outre la saveur spécifique de chaque instrument exposé, la cheffe précise et souple à la fois, affirme un son d’une rare cohérence, fédérant chaque mouvement dans une unité mouvante, organiquement fusionnée qui rayonne d’une énergie primitive irrésistible.
La 4è de Robert Schumann contient toute l’exaltation d’un jeune compositeur de 30 ans qui se passionne alors, au début des années 1840, pour le format orchestral. Composée dès 1841, la 4ème est révisée en 1851, pour clarifier et fluidifier davantage sa conception en un tout organiquement soudé, dans le déroulement de ses 4 mouvements enchaînés, – ce qui a quelque peu désorienter l’audience à la création, et ce qui nous subjugue tant désormais.
Tout en détaillant les prodiges d’une orchestration géniale, Laurence Equilbey sait fédérer tous les pupitres, les galvanisant dans le sens d’une énergie irrépressible, souveraine, impérieuse ; sa suractivité continue que relance constamment le motif en arabesque ondulant qui innerve tout l’ouvrage, se déploie peu à peu…

Mais au commencement, le premier mouvement débute majestueux, ample, dense (comme du Brahms) mais la texture s’organise, s’allège inexorablement dans un élan impérial qui traverse et emporte tout l’édifice ; elle nourrit ce mouvement serpentin, liquide et souple d’un mouvement à l’autre, en particulier dans le 2e mouvement où cette cellule chantante s’expose clairement au violon solo [broderie enivrée] au charme féerique.
Impressionnants et captivants, l’attention de la maestra aux rebonds, à la motricité, à la pulsion première qui se nourrit de la circulation des motifs d’un pupitre à l’autre, l’éloquence des nuances, le flux permanent qui fait respirer avec majesté le somptueux portique du Scherzo en ré mineur [une idée que reprend Dvorak dans 9e]. Ni robustesse démonstrative ni rudesse sévère ici…

La baguette de Laurence Equilbey unifie les parties dans une totalité expressive remarquable par son relief comme sa rondeur dansante. Le finale brillant, éclatant, triomphal exulte littéralement car la direction aussi détaillée que construite et puissamment architecturée, est d’un équilibre superlatif. Irrésistible, la jubilation de ce dernier mouvement (et son Presto final) que Laurence Equilbey cisèle comme une exultation miroitante. D’une durée de 30 mn, la Symphonie ainsi électrisée, sublimée, a filé comme un comète enivrée. Du grand ouvrage.

Pour sa 10e saison, INSULA ORCHESTRA affiche ainsi une santé des plus rayonnantes, permettant à un très large public à La Seine Musicale de goûter les délices d’un orchestre sur instruments historiques parmi les plus convaincants de l’Hexagone.
L’impatience nous gagne quand en fin de concert, Laurence Equilbey prenant le micro annonce un prochain concert Robert Schumann : l’oratorio « Le Paradis et la Péri », probable nouvel accomplissement Schumannien, absolument incontournable [ainsi annoncé les 14, 16 et 17 mai 2025] : rv est pris !

 

Insula Orchestra et Laurence Équilbey après avoir joué la Symphonie n°4 de Robert Schumann à la Seine musicale ce 25 septembre 2024 © classiquenews 2024

 

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