mercredi 16 avril 2025

CRITIQUE, festival. EVIAN, La Grange au Lac, le 4 juillet 2024. MOZART / MAHLER. Beatrice Rana (piano), Christiane Karg (soprano), Orchestre de Paris-Philharmonie, Klaus Mäkelä (direction).

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Pour fêter la 31ème édition du festival – en même temps que son second mandat à la tête (artistique) des Rencontres Musicales d’Evian -, Renaud Capuçon a mis les petits plats dans les grands, et c’est avec rien moins que le Chamber Orchestra of Europe (dirigé par l’ancien directeur du Philharmonique de Berlin, Sir Simon Rattle, accompagné par sa femme, la mezzo tchèque Magdalena Kozena) que les festivités ont commencé (le 26 juin). Le reste de la programmation donne le tournis, tant le festival lémanique est devenu l’une des références incontournables parmi les plus prestigieux festivals d’été en Europe. Mais encore une fois, à l’instar du festival de Pâques d’Aix-en-Provence (que dirige également Renaud Capuçon), une telle galaxie de solistes et orchestres prestigieux n’auraient jamais pu être réunie sans l’indispensable (et désormais incontournable !) soutien financier de Mme Aline Foriel-Destezet, la plus grande mécène dans le domaine artistique (et notamment musical) de notre temps. Et c’est également grâce à elle que Les Rencontres musicales d’Evian vont bientôt prendre une nouvelle envergure, avec la construction de La Source Vive, nouvelle salle dédiée à la musique de chambre, insolite (avec sa forme ronde) et intimiste (avec ses 500 places), actuellement en construction (son ouverture est prévue en 2026) à gauche derrière la Grange au Lac (les deux structures auront à terme une entrée commune avec un grand hall tout en longueur), et dont la synergie fera naître une nouvelle institution : Les Mélèzes. Avec ce projet des Mélèzes, Mme Aline Foriel-Destezet dépasse ici son rôle de mécène pour devenir une véritable partenaire, très investie dans le projet, d’autant qu’elle en préside le Fonds de dotation. Nous voulions lui rendre hommage en guise de préambule à notre recension…

 

 

Le concert du 4 juillet, en présence de la Mécène bien entendu, mettait à l’affiche – pour la première fois – l’Orchestre de Paris-Philharmonie (car c’est leur nouvelle “dénomination”, le Directeur de la Philharmonie de Paris, Olivier Mantei, assistait d’ailleurs également au concert…) – bien évidemment accompagné par leur jeune et fringant nouveau directeur musical, le finnois Klaus Mäkelä, mais aussi de la talentueuse pianiste italienne Beatrice Rana, pour une exécution du 20ème Concerto pour piano de W. A. Mozart.

Auréolée d’une déjà fameuse réputation, se taillant un succès phénoménal à chacun de ses concerts, sa venue n’en était que plus attendue à Evian. Après avoir brillamment enregistré la musique de Beethoven et Chopin (entre autres…), Beatrice Rana s’attaque ici à un autre monument de la littérature pianistique qu’est Mozart, avec le fameux Concerto pour piano et orchestre No. 20 KV 466, l’un des plus populaires du catalogue mozartien. Après les premières mesures orchestrales, qu’imprime d’une gravité profonde et parfois même brutale (on croit entendre l’ouverture de Don Giovanni !), les premières notes de l’italienne frappent, à l’inverse, par la clarté du discours pianistique. Malheureusement, dès que la soliste se mêle à l’orchestre, l’articulation devient moins clairement perceptible. A l’évidence, devant la puissance que le chef imprime à sa phalange, la pianiste peine parfois à imposer son piano à l’orchestre, notamment sa main gauche qui tend à disparaître dans la masse orchestrale. Quand elle attaque la sublime Romance, on retrouve enfin la délicatesse du toucher qui fait tout le sel du jeu de la pianiste apulienne. Si elle a toutes les armes pianistiques pour exprimer la légèreté chez Mozart, elle n’a pas toute la force physique qui lui permettrait d’offrir un piano dominant, du moins face à une direction aussi “musclée” que celle de Mäkelä.

Par bonheur, le chef finnois change son fusil d’épaule dans la deuxième partie, en offrant à la magnifique 4ème Symphonie de Gustav Mahler toute la délicatesse et la poésie que cette partition requiert. Après les colossales symphonies qui précèdent – les 1ère, 2ème et 3ème symphoniesGustav Mahler semble se frotter à l’échelle de l’Univers tout en questionnant l’obtention du salut et la place de l’homme -, la 4ème symphonie est de format plus « normal », presque confidentiel (55mn) comparée aux autres. Son amorce découle d’un Lied (Le cor merveilleux de l’enfant), déjà utilisé dans la 3ème avec son motif très identifiable, et ici développé surtout dans le Finale, qui est donc pour voix de soprano seule (sans chœur pléthorique). Ce ton de la confidence, comme une prière et une berceuse qui convoque notre âme d’enfant, déplut violemment aux auditeurs de la première et aux contemporains de Mahler qui ne comprenaient pas pourquoi un opus symphonique digne de ce nom se terminait par un adagio vocal, aussi réconfortant soit-il. Un pied de nez ourdi à la face de Beethoven et sa fabuleuse 9ème, conclue en apothéose, avec chœur, solistes et orchestre… Ici rien de tel ; plutôt le climat d’un rêve bienheureux, enchanteur. Très exactement, il s’agit du Paradis, vu par un enfant. Tendre et suggestif, le poète Mahler exprimait par le seul langage de l’orchestre la pureté de l’innocence : simplicité, calme, candeur, enfance. Ce n’est qu’au XXème siècle, grâce aux premiers chefs pionniers de l’interprétation malhérienne, que l’auditeur moderne a pu mesurer le coup de génie d’un Mahler peintre et poète, émerveillé comme un enfant par le paradis terrestre. 

Après l’avoir “rodé” à la Philharmonie de Paris, puis lors de leur RDV annuel sous la Pyramide du Louvre (en juin dernier), l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä trouve dans la sublime Grange au Lac un écrin à l’acoustique incomparable, et un cadre enchanteur qui en font l’une des salles préférés de toutes les grandes formations orchestrales européennes. L’arrivée de la soprano Christiane Karg au milieu de la forêt de bouleaux qui sert de fond de scène, sous les six somptueux lustre de Baccarat, s’avère comme une apparition céleste, rehaussée par sa voix angélique et délicate, qui transformeront le dernier mouvement en un moment d’éternité, grâce au fameux Lied final, « Les Joies de la Vie céleste » (Das himmlische Leben).

Avant cela, nous ne cacherons pas avoir rendu les armes, bien avant ce moment magique que sont les derniers accords, devant le résultat d’ensemble, grâce à cette beauté sonore et à cette puissance inhabituelle permettant malgré tout de très belles nuances, qui éclairent ici la symphonie, en magnifiant sa structure. Le détail des contre-chants, des thèmes secondaires et des formules répétitives s’en trouvent mises en valeur. Ainsi, dans les trois premiers mouvements, Mäkelä laisse décoller de longues phrases et des envolées célestes enthousiasmantes, sans ignorer toutefois les éléments grotesques et moqueurs de la danse macabre du Scherzo. C’est peut-être dans ce mouvement lent que le chef est d’ailleurs le plus convaincant. L’orchestre y arbore une beauté sonore souveraine, surtout les cordes dont le velours est difficilement égalable. La manière dont les nuances sont parfaitement gérées et calculées offre des émotions intenses au public, qui n’en finit plus d’applaudir – debout – à l’issue du concert. 

Gageons que ce n’est pas la dernière fois que Renaud Capuçon invitera la phalange parisienne et son incroyable chef à se produire… aux Mélèzes !…

 

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CRITIQUE, concert. EVIAN, La Grange au Lac, le 4 juillet 2024. MOZART / MAHLER. Beatrice Rana (piano), Christiane Karg (soprano), Orchestre de Paris-Philharmonie, Klaus Mäkelä (direction). Photo (DR).

 

VIDEO : Bernard Haitink dirige la 4ème Symphonie de Gustav Mahler

 

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