jeudi 4 juillet 2024

CRITIQUE, concert. EVIAN, la Grange au Lac, les 2 et 3 juillet 2023. Beethoven, Prokofiev, Tchaïkovski. Martha Argerich / Gustav Mahler Jugendorchester / Daniel Harding (le 2/7) & Alexandre Kantorow / Orchestre de L’Accademia Nazionale di Santa Cecilia / Tugan Sokhiev (le 3/7). 

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Pour fêter les 30 ans de la célèbre Grange au Lac d’Evian en même temps que son premier mandat comme directeur artistique des Rencontres Musicales d’Evian, Renaud Capuçon a mis les petits plats dans les grands, et c’est avec rien moins que les Berliner Philharmoniker (dirigés par Zubin Mehta) que les festivités ont commencé (le 28 juin), en grande pompe donc, poursuivies par un récital du légendaire baryton gallois Sir Bryn Terfel, puis un autre par la soprano russe Aida Garifullina, pour aboutir à la venue de deux Géants du piano, les 2 et 3 juillet, l’une au faîte de sa gloire, Martha Argerich, et l’autre à l’orée d’un brillantissime carrière, Alexandre Kantorow.

Et c’est avec comme écrin le Jugendorchester Gustav Mahler (placé sous la direction de Daniel Harding) que la “Lionne” interprète l’un des ses concertos préférés, le 1er Concerto pour piano de Beethoven, dans lequel nous l’avons déjà entendue plusieurs fois. Mais même si elle en a fait du depuis longtemps l’un de ses principaux chevaux de bataille, Martha Argerich n’en finit pas d’émerveiller le public par sa capacité, à 80 ans passés, à raconter à chaque fois une nouvelle histoire, avec une fraîcheur jamais démentie, une dextérité époustouflante, des passages virtuoses hallucinants, des transitions et des ruptures savamment ciselées et surtout, ce soir, une sérénité à toute épreuve et un mouvement lent d’une profondeur abyssale, dégageant une douceur infinie et une intense émotion. Elle offre en bis, à un public conquis et enthousiaste, la “Kinderszenen n°1” de Schumann, qu’elle enchaîne à peine terminée, à la Gavotte de la “Suite Anglaise n°3” de Bach, ici délivrée avec une telle joyeuseté et alacrité qu’on a bien plus l’impression d’entendre du Scarlatti qu’une pièce du Kantor de Leipzig !
En seconde partie, place à la Symphonie n°7 de Beethoven, que le chef britannique cherche (et parvient sans peine) – à dynamiser dès les premiers instants, avec des cordes qui chantent dès le Poco sostenuto. Et aussitôt les bois, première flûte et premier basson en tête, se mettent au diapason, en présentant une superbe clarté. L’Allegretto se veut peut-être trop net dans la mise en valeur du thème récurrent génial écrit par Beethoven, mais l’interprétation impressionne en revanche dans le Presto, fantastique de hardiesse et de luminosité. L’Allegro con brio achève l’ouvrage avec la même vigueur, pour une prestation de grand luxe que l’on doit à un Orchestre des jeunes Gustav Mahler dont l’ardeur et l’enthousiasme font plaisir à voir !

Le lendemain, c’est le jeune prodige du piano français Alexandre Kantorow qui s’assoit sur le tabouret, avec tout autour de lui l’Orchestre de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia placé sous la direction du chef ossète Tugan Sokhiev. Et c’est dans le Concerto n°3 pour piano de Prokofiev qui fera entrer Argerich dans la légende (aux côtés de Claudio Abbado et des Berliner Philharmoniker) que Kantorow qu’il s’illustre à son tour ce soir. Dès les premières notes introductives de l’Andantino initial, la légèreté du toucher du jeune virtuose laisse sourdre une intense poésie bientôt suivie de la puissante et gigantesque cadence que Kantorow mène avec une virtuosité confondante, une clarté lumineuse, en totale symbiose avec l’orchestre. Le Scherzo met en avant la phénoménale dextérité digitale du pianiste français, ainsi que sa précision rythmique, tandis que l’Intermezzo développe un dialogue équilibré et complice avec l’orchestre, et tout particulièrement, avec les bassons où l’on remarque la bonne tenue d’un instrumentiste que le chef sera le premier à féliciter aux moments des saluts. La sauvagerie du Final rappelle le premier mouvement dans une course à l’abîme vertigineuse alternant virtuosité et lyrisme inquiet. En bis, le pianiste offre d’abord la “Cancion y Danza n°6 de” Mompou, puis un autre de Schubert, son célèbre “Litanei” dans la transcription de Liszt, toute imprégnée de douceur et de poésie.
Après l’entracte, place à la 5ème Symphonie de Tchaïkovski, que nous avons également eu la chance d’entendre par deux fois déjà sous la baguette de Sokhiev, notamment dans son ex-temple toulousain de la Halle aux Grains, et qui s’avère un ouvrage qui permet au chef comme à la formidable phalange italienne de démontrer tout leur art. Jouant avec tout son corps, Sokhiev impose un Tchaïkovski puissamment construit qui avance à l’énergie. La force discursive renvoie dès les premières mesures au fatum russe, sa direction gardant par ailleurs le sens de la progression et de la tension nécessaires à cette partition. On admire également la prestation de l’orchestre à son plus haut niveau dans ce cheval de bataille du répertoire symphonique : qualité des chefs de pupitres, justesse de style et cohésion d’ensemble renvoient bien à une phalange de premier plan international. L’énergie qui se dégage du finale (un Allegro vivace vraiment démoniaque !) est tellement communicative que le public finit par applaudir debout, mais Viotti transforme l’exaltation en émotion en donnant, en bis, le délicat “Salut d’amour” d’Elgar, avant un extrait de “Casse-Noisettes” du même Tchaïkovski.

Un mot, en guise de conclusion, sur la salle elle-même, puisqu’elle vient de rouvrir après un an de travaux, qui ont permis d’agrandir la scène (au détriment de cent sièges, pour une capacité de 1000 places désormais), une acoustique revue et améliorée grâce à des aménagements au niveau du plafond et du fond de scène, ce dernier ayant par bonheur néanmoins conservé ses nombreux troncs de bouleaux et ses six magnifiques lustres, qui sont l’âme de cette salle de concert telle que rêvée par Rostropovitch pour qui elle a été conçue. Et la Grange au Lac va demeurer à nouveau silencieuse pour une année supplémentaire, jusqu’aux prochaines Rencontres Musicales de l’été 2024, le temps de construire des loges et des locaux techniques dignes de ce nom – mais surtout, grâce au généreux appui financier de la mécène suisse Aline Foriel-Destezet, une nouvelle salle de 500 places et de forme ovale, jouxtant la première et dédiée à la musique de chambre, qui portera le nom de “La Source vive” : un nouveau lieu pour la musique à Evian qui devrait être inauguré à l’automne 2025 !

 

 

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CRITIQUE, concert. EVIAN, la Grange au Lac, les 2 et 3 juillet 2023. Beethoven, Prokofiev, Tchaïkovski. Martha Argerich / Gustav Mahler Jugendorchester / Daniel Harding (le 2/7) & Alexandre Kantorow / Orchestre de L’Accademia Nazionale di Santa Cecilia / Tugan Sokhiev (le 3/7). Photos © Matthieu Joffres

 

 

VIDÉO : Alexandre Kantorow interprète le Concerto n°2 de Sergueï Prokofiev


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