Les soirs se suivent et ne se ressemblent pas à La Roque d’Anthéron. Hier c’était la folie bruyante d’une soirée Rachmaninov qui avait rempli jusqu’à la gorge la conque, ce soir c’est un public clairsemé et particulièrement attentif. Florent Boffard, pianiste et pédagogue anime une série de concerts de musique dite « moderne et contemporaine ». Ce soir à 21 h dans le Parc du Château, le concert a été un grand concert pour la musique tout simplement. En présence de deux compositeurs : Philippe Schoeller et Julian Anderson, ce qui est historique.
Henri Dutilleux est un compositeur très apprécié qu’il est inutile de présenter. Il encadre avec deux de ses pièces, les deux compositeurs présents ce soir. « Hymnus » de Philippe Schoeller mobilise deux groupes d’instruments des bois et des cuivres et le piano y occupe la place centrale. Sous la direction d’Andrew Gourlay la pièce nous parle du monde, de ses divisions, de son harmonie aussi. Le chef britannique est d’une précision incroyable et sa gestuelle, dansante, très extraordinaire. La manière dont il sait montrer les audaces de la partition et également dont il clarifie la structure, nous rend compréhensible le discours musical parfois très déstabilisant. C’est une bénédiction, car peu de chefs ont cette envergure. Florent Boffard, à qui l’œuvre est dédiée, est très à l’aise avec toutes les possibilités du piano, jusqu’à frapper les cordes à la main. Les deux groupes d’instruments, les bois à gauche et les cuivres à droite, peuvent s’opposer ; faire des ponts entre eux à certains moments. Il arrive que la sonorité d’un bois rencontre exactement ou presque celle d’un cuivre et inversement. C’est virtuose, parfois très beau et toujours très surprenant, renouvelant constamment l’intérêt. Les percussions sont particulièrement porteuses d’émotions. C’est une partition qui s’écoute et se regarde avec autant de bonheur. Le succès public est grand et la satisfaction des interprètes comme du compositeur venu sur scène saluer, également.
Création à La Roque…
Hymnus de Philippe Schoeller
Litanies de Julian Anderson
Ensuite place au Concerto pour violoncelle nommé « Litanies » de Julian Anderson. Le compositeur présent dans les gradins semble être très ému de réécouter son œuvre. Il faut reconnaître que le jeu d’Alban Gerhardt est sidérant. Son engagement dépasse tout ce qui peut s’imaginer. C’est comme si sa vie en dépendait. Les dialogues avec l’orchestre sont stupéfiants. Là également la vue et l’ouïe sont à la fête. Et toujours cette direction si parfaite du chef. Les musiciens du Sinfonia Varsovia sont hyper investis, très concentrés, très virtuoses.
La musique de Dutilleux qui enserre les compositions les plus récentes est d’une grande subtilité et d’une grande délicatesse. Le Mystère de l’instant permet d’entendre tout l’orchestre des cordes depuis des notes à la limites du silence jusqu’à des forte terribles. L’art d’écrire pour les cordes atteint des sommets. Et l’utilisation du cymbalum produit un effet d’une grande étrangeté. C’est dans la pièce finale que la magie sera la plus absolue. Le Nocturne pour violon sur le même accord d’un Henri Dutilleux particulièrement inspiré fait vivre des émotions variées dans une palette de nuances assez extraordinaire. La violoniste Liya Petrova est toute grâce et toute beauté ; elle envoûte par la beauté du son, un jeu passionné et d’une virtuosité stupéfiante. L’élégance du geste, son autorité naturelle offrent une interprétation de haut vol. Par sa présence étincelante, Liya Petrova est l’étoile de la nuit. L’orchestre sur le même mode virtuose semble galvanisé par une interprète si brillante. Certes cette musique n’a pas encore le vaste public pour elle. Pourtant la valeur de ses pages va se faire connaître et le Festival International de Piano de la Roque d’Anthéron tient une position courageuse et admirable. Le bonheur partagé entre le public, les musiciens, les compositeurs, a tout pour réjouir les mânes du grand Dutilleux.
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CRITIQUE, concert. 43ème Festival international de piano de LA ROQUE D’ANTHÉRON ; Parc du Château de Florans, le 9 août 2023
Henri Dutilleux (1916-2013) : Mystère de l’instant ; Sur le même accord, nocturne pour violon et orchestre ; Philippe Schoeller (né en 1957) : Hymnus, pour piano et ensemble orchestral (création mondiale) ; Julian Anderson ( né en 1967) : Litanies, concerto pour violoncelle et orchestre ; Liya Petrova, violon ; Alban Gerhardt, violoncelle ; Florent Boffard, piano ; Sinfonia Varsovia ; Andrew Gourlay, direction. Photo © Valentine Chauvin / La Roque d’Anthéron 2023.