mercredi 16 avril 2025

CRITIQUE, concert. LILLE, le 12 avril 2024. SIBELIUS (Concerto pour violon / Alena Baeva, violon), R. STRAUSS : Till l’Espiègle. Orchestre National de Lille. Alexandre Bloch, direction

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Quel programme éblouissant qui de manière équilibrée démontre ce soir, le très haut niveau atteint par l’Orchestre National de Lille sous la direction de son directeur musical, Alexandre Bloch. L’auditeur lillois passe de la transe hypnotique du seul Concerto pour violon de Sibelius à la verve tonitruante, si touchante aussi de Till l’Espiègle du bouillonnant Richard Strauss, lui-même aussi facétieux orchestrateur qu’est provoquant et impertinent, son héros médiéval.

Le bain symphonique est total et réalise un festival de nuances comme d’enchantement sonore. La faculté narrative et expressive de l’Orchestre se libère totalement en particulier dans le Strauss : l’énergie et la virtuosité d’un orchestre volubile éblouit littéralement car il ne s’agit pas seulement de multiplier les accents comme l’incantation sonore ou le sens des couleurs ; l’intonation et la finesse de chaque intervention soliste y sont canalisées et même ciselées avec une subtilité… heureuse : le chef étant visiblement au cœur d’une orchestration géniale dont il exprime avec la justesse idéale, et comprend l’esprit voluptueux sous l’articulation voire la surenchère expressive. Du cor, à la clarinette sans omettre le violon solo… tous les instruments incarnent l’espièglerie séditieuse du héros dont l’insolence est finalement vaincue.

 

 

Voluptueuse et facétieuse énergie straussienne

 

C’est surtout l’étonnante saillie de la clarinette basse qui en plusieurs mesures sort du groupe et exprime avec mordant et intensité, l’insolence et l’esprit du défi : incroyable relief instrumental qui rappelle combien Strauss reste un ardent wagnérien / Wagner ayant particulièrement fait usage de l’instrument à hanche dans la caractérisation psychologique de son Ring.

Au delà des péripéties magnifiquement vécues par les instruments, l’orchestre exprime au plus juste cet élan dyonisiaque, cette jubilation partagée qui accomplissent le destin de Till, de ses exploits et fanfaronnades… à son exécution minutieusement assénée sur le roulement de la caisse claire, sentencieuse, définitive. Toute la tendresse de Strauss se libère ensuite dans l’ultime séquence des cordes, dans un retour à la magie du conte. Enivrée, précise, à la fois détaillée et superbement architecturée, la vision d’Alexandre Bloch éclaire le génie straussien ; elle n’écarte aucune subtilité d’une partition qui cultive comme rarement la verve dramatique, l’élégance sonore, où perce aussi un humour articulé en pirouettes complices [de toute évidence ce soir entre les cordes et le chef].
Le vrai sujet de la soirée est ce niveau technique et interprétatif admirable acquis par l’Orchestre National de Lille dont depuis la quasi intégrale Mahler, des Bernstein tout aussi prodigieux, et récemment une fosse wagnérienne aussi ductile qu’envoûtante [lire notre critique du Tristan und Isolde à l’Opéra de Lille / 28 mars dernier], nous avons suivi les jalons significatifs.

 

Alena Baeva et l’ON LILLE
Embrasement sonore pour Sibelius

La pièce maîtresse de la soirée est le Concerto pour violon de Jean Sibelius [1904] auquel Alexandre Bloch tout au long de cette saison consacre un focus particulier. La soliste invitée, la violoniste Alena Baeva est une carte majeure dans l’accomplissement du cycle sibélien. La finesse de son son, la qualité du legato, les nuances constamment orientées dans le sens d’une intensité intérieure, son élégance charismatique délivrent un charme absolu auquel il est bien difficile de résister. À travers la beauté sonore de son instrument, l’artiste accomplie déploie immédiatement un imaginaire d’une absolue maîtrise, d’une profondeur saisissante… Elle conduit l’auditeur dans un monde insoupçonné le hissant toujours dans un jeu funambule fait de vertiges et d’élans ascensionnels hallucinants qui nourrissent idéalement la tension du Concerto que Sibelius dès son début a conçu comme l’expression d’un rêve extatique, ou d’une transe aux accents incandescents.
L’échelle des vertiges s’atténue dans le second mouvement où c’est un sentiment d’un renoncement progressif, d’une tendresse infinie et sereine qui s’accomplit.

 

La fusion avec le chef et l’orchestre est davantage palpable, produisant cette série de pauses harmoniquement denses dont Sibelius a le génie. Au contact de la prodigieuse soliste, de sa présence vécue comme un embrasement continu, l’Orchestre répond en vagues féeriques et magiciennes, éclairant à la manière de Czymanowski ou de Scriabine, toute la couleur à la fois onirique et fantastique d’une partition parmi les meilleures de Sibelius, lui qui se rêvait grand violoniste, composant alors une sorte d’opus absolu pour son instrument favori. Enveloppée idéalement par un orchestre flamboyant, la soliste libère le caractère rhapsodique de l’œuvre ; elle en souligne chaque aspérité, chaque accent éperdu, intense et miroitant comme s’il était conquis de haute lutte. Intensité, esthétisme, engagement total font de sa vision du Concerto, un embrasement inouï.

On ne saurait trop saluer l’intelligence du programme qui en faisant dialoguer Sibelius et Richard Strauss, souligne le génie des deux créateurs symphoniques les plus originaux du début XXe [avec les français s’entend Ravel et Debussy] sans omettre Gustav Mahler. Alexandre Bloch qui va bientôt conclure sa riche collaboration avec le National de Lille [la prochaine Bohême estivale sera son adieu], peut être fier d’une direction éblouissante qui a su toujours exploiter avec faste et finesse les qualités indiscutables du collectif lillois. Portrait d’Alena Baeva (DR)

 

 

 

 

L’ON LILLE Orchestre National de Lille annonce la diffusion prochaine de ce concert inoubliable sur sa chaîne YouTube, l’audit 2.0, sa propre salle numérique où chacun peut retrouver et revivre les grands moments de l’Orchestre. Indiscutablement cette soirée Sibelius en est un, nouveau, aux côtés des précédents  dont ente autres Les pêcheurs de perles de Bizet (2017), Mass de Bernstein (juin 2018), la Symphonie n°8 des Mille de Mahler (nov 2019) et plus récemment encore Written on skin de Georg Benjamin (janvier 2024)

 

Toutes les photos (focus) © Ugo Ponte / ON LILLE – Orchestre National de Lille

 

 

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Cycle Sibelius par Alexandre Bloch et l’Orchestre National de Lille :
Prochain et dernier volet du cycle Sibelius par l’ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE, les 17 et 18 avril 2024 : Symphonie n°7 (1925) / couplée avec le Concerto pour piano et orchestre n°5 de Beethoven (soliste : Francesco Piemontesi, piano): lire ici notre annonce de 2è concert événement de l’Orchestre National de Lille : https://www.classiquenews.com/orchestre-national-de-lille-cycle-sibelius-suite-et-fin-les-11-12-17-18-et-19-avril-2024-valse-triste-concerto-pour-violon-symphonie-n7-alena-baeva-violon-alexandre-bloch/

 

 

Photo : Alexandre Bloch, Alena Baeva, les musiciens de l’ON LILLE, Orchestre National de Lille © classiquenews 2024
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