SUITE & FIN DU CYCLE SIBELIUS… La 7ème est un aboutissement pour Sibelius pour lequel l’acte de composition est à la fois radical, exclusif, douloureux. Son questionnement de la forme atteint un degré ultime d’exigence, où le développement ne s’autorise aucune dilution artificielle, cherchant plutôt un équilibre fusionnel qui tend exclusivement à la concentration formelle : les mouvements sont enchaînés grâce à un jeu très subtil qui enlace leurs transitions pour une cohésion organique renforcée.
Dans ce cadre tendu, la 7ème de SIBELIUS [et ses moins de 30 mn], fait figure de course inéluctable au fini orchestral inouï car le compositeur s’autorise des alliages de timbres et des équations instrumentales qui portent son unique signature : brumes, nappes, tuilages, vagues sonores somptueusement texturées, diffusent en un post impressionnisme atmosphérique, semblant effacer toute structure. Cette singularité place Sibelius au sommet des meilleurs symphonistes dans la première moitié du XXe siècle avec R. Richard et Gustav Mahler.
Alexandre Bloch l’a bien compris qui cherche surtout à nourrir la richesse des textures, à renforcer le chant palpitant des bois et des cuivres, sans rien atténuer du fil à la fois âpre et souple des cordes, actrices ici des mouvements et directions moteurs. La lecture éclaire la singularité de l’écriture de plus en plus ascensionnelle et qui semble s’alléger vers le point culminant final. Mais un final qui s’achève comme une énigme, le compositeur en 1924 s’estimant satisfait, s’enferme ensuite dans un silence de… 30 ans, après ses dernières partitions [ La Tempête et Tapiola de 1926], jusqu’à sa mort en 1956.
L’Orchestre National de Lille poursuit ainsi et conclut le cycle Sibelius avec cette 7ème, déconcertante et fascinante. La cohésion du son affirme une maturité que l’on avait déjà constatée et particulièrement appréciée dans l’épisode précédent [Concerto pour violon avec l’irrésistible Alena Baeva, Ce 12 avril dernier]. A la fois atmosphérique et synthétique, l’ultime symphonie achevée de Sibelius compose ce soir un début de concert des plus captivants. Un premier aboutissement à inscrire parmi les réussites de l’Orchestre lillois, sous la direction précise et dansante de son directeur musical.
Dernier concert Sibelius par l’Orchestre National de Lille
sous la direction de son directeur musical, Alexandre Bloch
Sibelius et Beethoven
rayonnants, conquérants à Lille
Le niveau en seconde partie n’allait pas se relâcher bien au contraire ; l’inusable et très familier Concerto l’Empereur de Beethoven souligne d’emblée, la lumineuse complicité du chef, du soliste, de l’Orchestre dans une proportion rarement écoutée jusqu’à ce soir. Une telle écoute entre soliste et orchestre, un tel éventail de nuances, de piani diversifiés, une telle entente en épisodes millimétrés offrent ce soir de re-découvrir l’œuvre comme un jaillissement proche de sa création, dans une éloquence régénérée, une agogique expressive, des dynamiques idéalement orfévrées, en particulier dans la seconde partie du [long] premier mouvement (Allegro) et dans la continuité du second (Adagio un poco mosso) ,… autant de qualités expressives que beaucoup d’orchestres « historiquement informés » pourraient jalouser.
Le chef veille à l’équilibre piano / orchestre avec un soin amoureux permettant à Francesco Piemontesi de déployer en sensibilité et en grâce, un jeu continument aérien, oxygéné, d’une lisibilité parfaite, d’une cohérence sonore hallucinante, en particulier grâce au chant magistralement articulé et flexible de sa main gauche.
D’une complicité manifeste, les musiciens ouvragent le » grand concerto » [pour reprendre les mots de Ludwig] dans une justesse absolue : à la fois martial et guerrier car Beethoven en 1809, ne nous trompons pas malgré le titre de l’œuvre, souhaitait en découdre contre Napoléon [règlement de compte amorcé dans l’Eroica – symphonie n°3-, 4 ans plus tôt] ; les premiers accords orchesteaux disent cette majesté conquérante, droite et impérieuse, présente tout du long. Mais le jeu tout en tendresse du pianiste et une écoute de chaque mesure qui est réservée par le chef, apportent aussi cette élégance suprême, proprement viennoise, qui tempère l’éclat des batailles. Pour toute réponse au chaos des armes, Beethoven le Viennois, farouche résistant, affirme son inéluctable amour des fraternités, sa passion des arts résilients, comme porteurs d’une leçon d’humanité (remarquables séquences chantantes, et de facto fraternelles où le piano dialogue avec la clarinette.)… Le jeu de Fransceco Piemontesi qui semble dépositaire de tout l’idéal des Lumières, emporte l’adhésion par son humilité ardente, sa sensibilité sans maniérisme, son chant d’une sincérité immédiate. Voilà qui change des acrobates du clavier rien que tapageurs, en rien orfèvres touchés par la grâce, comme c’est le cas du pianiste italo-suisse (né à Locarno en 1983). D’autant que ce soir les qualités du nouveau piano de concert, récente acquisition de l’ON LILLE / Orchestre National de Lille, démontre l’ampleur de ses capacités : le scintillement produit, la définition des nuances, le divin équilibre sonore entre le clavier et la masse orchestrale sont très convaincants.
Pour toute conclusion, orchestre et pianiste réalisent une dernière séquence (nerveux et conquérant Allegro ma non troppo), elle aussi d’un fini superlatif, moins marquée par l’esprit de grandeur qui avait ouvert le bal, que par une pure jubilation lumineuse et dansante, signe de cette joie fraternelle et heureuse, celle, si magnifiquement assumée, sublimée là encore par Beethoven dans la fin de sa 9ème Symphonie, sur le texte de Schiller.
Le travail en nuances, la ciselure d’une lecture idéalement concertante accréditent ce soir le très haut niveau orchestral sous la direction d’Alexandre Bloch, dont les spectateurs lillois vivent les derniers concerts de sa dernière saison.
Face à l’enthousiasme légitime du public, le pianiste généreux offre 3 bis dont un Debussy [percussif et miroitant / Feux d’artifice, Préludes], un Mozart [d’une tendresse enivrée / 2ème mouvement de la sonate en Fa Majeur K332]…. enfin, sur le fil d’une virtuosité admirablement énoncée, jouée rien que scherzando l’étude en fa majeur de Mozkowsky : la très grande classe.
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CRITIQUE, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 18 avril 2024. SIBELIUS : symphonie n°7 [1924] – BEETHOVEN : « GRAND CONCERTO » pour piano n°5 « L’Empereur » [1809]. Francesco Piemontesi, piano. Orchestre National de Lille. Alexandre Bloch, direction. Photos : © Ugo Ponte / ON LILLE Orchestre National de Lille
PROCHAINS CONCERTS de l’ON LILLE / ALEXANDRE BLOCH
Prochains concerts avec Alexandre Bloch : LILLE PIANO(S) FESTIVAL, le 14 juin 2024, 20h / même lieu [Nouveau Siècle] : MOZART, concertos pour piano n°23, 21 et pour deux pianos / solistes respectifs : FF Guy, J Fournel, Geister Duo ; puis PUCCINI : La Bohème dans le cadre des Nuits d’été, les 4 et 5 juillet 2024 [également au Nouveau Siècle] avec les solistes Nicole Car [Mimi], Joshua Guerrero [Rodolfo]…. RVS incontournables.
LIRE aussi notre critique du concert précédent SIBELIUS par l’ON LILLE Orchestre National de Lille / Alexandre Bloch (12 avril 2024) : https://www.classiquenews.com/critique-concert-lille-le-12-avril-2024-sibelius-concerto-pour-violon-alena-baeva-violon-r-strauss-till-lespiegle-orchestre-national-de-lille-alexandre-bloch-direction/